Je suis/Je fais/ Je dis
C’est un sacré travail, poussez, poussez, ouvrez, ouvrez, poussez et plaf, le v’là, tout redondant de sang, bavures et chiures emmêlées, un arsenal d’humanité dans le fumant charroi des rivières amniotiques, un gravelot lâché dans une bonde en crue, il ouvre poumons, travail d’éclatement contenu, claques et caresses, nettoyage, aspiration, lavement, (si j’ouvre ma bouche et mes bras, si j’ouvre, le ciel entrera-t-il ? ce qui ne se voit pas peut-il entrer ?
Le sentirais-je ? m’emplirais-je ainsi du bleu du ciel ? du ciel et du bleu ? est-ce que je m’emplirai d’un ciel vide ou chargé de nuages ? est-ce que je m’emplirai de nuages ? de nuages blancs, de nuages gris ou bleus dont j’aurai tant besoin plus tard ? M’emplirais-je de vide, du vide du ciel bleu à rester ainsi ? M’emplirais-je de l’absence du ciel ou d’un ciel que je ne vois pas ? Deviendrais-je moi-même une part du ciel ?)
- Enfant je suis et fais ce que je veux, ce que je peux, que je veux et que ne peux aussi, puni parfois mais content, content de faire quand je fais, fabrique, construit, détruis et refais, je suis ce que je fais ; ne suis pas le pilote mais l’avion dans le même étonnement, le vent aussi, les nuages et la terre qui me regarde faire ce que je suis quand je le fais…
Le temps est long et je m’ennuie, m’amuse à m’ennuyer, ne sais ce que je suis, seul ce que je fais et qui se défait dans le temps infini de la durée. Couper à vif, dire le vrai du vrai, la chose et son contraire dans le silence des soliloques, disparaître dans la nuit dans des bans de brouillard et aller sans armure au profond des combats, battre le fer et aiguiser sa lame au feu des dieux si proches qu’on ressort de ses joutes plus légers qu’un flocon qui descend des nuages glacés sur notre front levé.
Aller et ne rien dire, ou si peu, parfois rien, et frapper son tambour avant que de grandir dans des corps trop sucrés, mous et convaincus de rien si ce n’est de son poids sur la pesée des besoins du troupeau.
- Tout se bouscule dans l’atelier des hormones, petit, petit grandit et fait le grand, le malin, le gaillard, le castard, jeune homme à la tête rasée, enfant encore et qui le cache dans des allures d’homme à venir, de jeunot, de petiot vite grandi et encore si pâlot, gamin de paresse et d’allusions cruelles, ne fais rien qui ne vaille que je fasse, ne suis que ce que je ne fais pas, ne dis, ni ne fais, je suis sans voilures et ma coque est fêlée, planches disjointes et malencontreuse allure, je ne fais que peu de choses et me résume à ce très peu qui m’envahit et me secoue le vide où je résonne en babelant des bêtises, fredonnant des airs du levant au couchant, ignorant des airs que je me donne en galurin, casquette, béret et mitre du jeune âge qui se fabrique en douce dans le secret des bazars à tous vents.
Je dis, remugle, aboie, radote et rage, suis animal, mal, mal, foutu animal, fichu animal, animal aimé, baisé, animal battu, au turbin, à la chaîne, animal de guerre et de ravitaillement, de secours et de montagne, animal au puits et à la meule, animal effondré, à la traine, de bât, de fond, d’escarpement et sous-marin, animal secret et public, bandé, bandant, bandard et foutrement braqué, animal dépiauté, délardé, arraché et tranché, pas animal fini, travaillé, trans, transformé.
- Je dis, je dis, je dis que je suis et je n’en fais pas une, ado, à dos, adolescent velu, venu à point au stade du guerrier, instinct à vif et poings serrés, grande gueule ou regard glacé, ça s’en donne des genres avant d’entrer dans le réel des corps ravis par le turbin, tourneboulés par le ravage quotidien, la mise en pesée des chairs, des organes, des âmes, esprits, raisons et autres fariboles, bite au poing il va dans des prestances chaloupées dans les terrains vagues et les chantiers déserts porter sa hargne du travail, chose bancale, ancienne et sans avenir, machin des pères, des mères et des pauvres de là, là- bas, loin d’ici, au-delà du visible d’ici, dans les noirceurs du plus loin et le vague de l’innommé, travail, horaires, petites et petits fourmillant dans les mines de sel, sucre, cadmium, cuivre, diamant, or, argent, radium, huile de palme, bananes, pétrole, diamant, tapis d’orient, et autres arrache-sang, jouant guerrier pitit minitaire, troupes de premières lignes, de choc et de fracas, travail de coupes, de pointes et de coupes-coupes, travail viol, incendie, rapine et destruction, travail de chanvre et dynamite, travail de famine et de sécheresse, travail foutu, en ruines, fumées et pourrissements, travail d’égorgements et de rafales, travail bien fait, ne reste rien, beaucoup travail à faire pour reconstruit et faire de même de l’autre côté, gaz, bulldozers, fosses communes, charniers, inspecteurs, procès, répétitions, images, réunions, rencontres, promesses, traités, que de travail à faire pour s’instruire des fantômes !
Ça va aller, travail à revendre au plus offrant. Et moi je dis, des choses égarées, des psalmodies stériles, des engagements bâtards, des colères fugaces, je dis, je dis, je dis et ne fais toujours rien, encore.
- Garçon grandi, fille roulée, devenus homme, femme, ou machine reproductrice, machine plaisir, machine courir, machine mentir, machine toujours en retard, machine production et salaisons des anciennes façons, machine d’amour et de fornications, machine d’avenir et de futur construit en des enfants de sucre et de caresses, enfants venus, bien, mal, venus quand même et le travail qui fuit de partout, travail à moins, travail à plus, tête baissée, sur le guidon, éreinté, forcé, exténué, travail en miettes et en ressorts, coupé, multiplié, déraisonné, abandonné, exporté, dépiauté, ravaudé, coaché et sur pression extra, replis sur rien, travail foutu, mais les enfants, écrans plats, ordinateurs et vastes blagues, mes droits, mes droits, luttes passées, à venir, s’éparpillent dans le désert des choses, schizoïde, comme des siamois de folie,
Dès que je me suis intéressé à l’argent, j’ai tout perdu, diront- ils, telles dans la repentance du jour, mais il fallait, le faut, le devions.
Et que je te mange des mitrailles de nitrite, des sulfates, des giclées de colorants belle-vie, des sulfites bonne chair, des métaux lourds dans le bide et des légers dans l’os, que je te mange des pestes et choléras, que je te mange par tous les trous la coulée hormonale usinée, que je te mange bientôt, dans la vertu éblouissante des caméras, travail incessant, objectifs, écrans, sons, explorations, écoutes,
infiltrations, réseaux, filtres, accès et obscènes, satellites et câbles sous-marins, antennes et voisions, Comité de Défense de la Révolution et Rien A Signaler, bombes, éclats, matin, midi et soir, travail de fourmi, travail, travail, travail de mort et d’extinction, inutile, de proximité, de force et d’inquiétude.
Va falloir encore mentir, dire qu’on ne savait pas, qu’on n’avait pas le moindre soupçon de cette exténuation collective,…
- Temps passé, corps affaissé ou jeune sous adjonctions, addictions, adulations, corps démembré par bombardements, structures défaites, ciment, poudre, cailloux et gravas.
Rien ne me fera céder, rien, tout est affaire de clarté, de justesse, de justice, cette histoire banale à rendre aussi limpide que la mort qui gagne et que chacun accueille avec plus ou moins de civilité à sa table.
Cette histoire d’argent est la seule que j’ai haïe et adorée, quand j’accédai à cette subtile mécanique de confusion qui consiste à ne plus voir l’argent que l’on perd et l’on gagne, à le voir s’éloigner de nous, à perdre le plaisir de le manipuler, à l’échanger, à le passer de main en main. Les prostituées, quelques commerçants méfiants et les enfants aiment encore palper les billets, voir rouler les pièces dans leurs paumes. Les assassins n’y croient plus, ils ont des comptes, seuls les amateurs, les voyous interlopes veulent encore tâter le prix du sang.
Pour un homme qui a toujours payé et travaillé et payé et travaillé pour se faire aimer, l’enfer, ce sont les nombres, les comptes, trace des sacrifices dans le tout grand argent, oh mon bien-aimé seigneur, chérie, mon amour, chéri, je t’aime, chéri je t’adore, ya Moustafa yaaa Moustafa, ya Moustafa, yaaa Moustafa.
Je suis un abondant, une rivière, un gouffre, je dilapide, j’offre, je sollicite, je donne, je produis. J’éparpille des phrases, des repas, des cadeaux ; j’achète des livres, des disques, des
peintures, de la nourriture, des médicaments, des femmes, j’achète tout ce qui peut être vendu et acheté, le travail rend libre et je suis travailleur né, vieilli, bientôt mort.
Ces dépenses ne sont rien, à côte du vide, de l’arrachement que vit celui qui sait qu’il est condamné à dépenser, pas grand chose, tout est prêté, il n’a qu’à en faire usage, à consommer, à échanger contre quelque chose ou quelqu’un de plus rare, c’est tout.
Travail fin de vie bientôt, travail sous oxygène, travail d’extinction et de coma, travail de dispersion, de pompes et d’oubli, travail-savon dans la main d’un aveugle, travail pour tous dans la germination des idées volatiles, des obliques et des traverses, jetées hors de l’élan des travailleurs taillant le roc et gonflant les nuages, dans l’harmonie dune maison solide, d’une retraite sonnée, d’une pension gagnée, d’un abri où attendre et regarder le ciel, le bleu, le ciel et les nuages, la beauté des liquides dans l’azur éloigné.
Octobre 2018