Un coup de cœur du Carnet
Carine MESTDAG, Le chant du chardonneret, Murmure des soirs, 2024, 163 p., 20 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 978-2-931235-14-0
Dans ce roman, Le chant du chardonneret, Carine Mestdag nous offre une émouvante et grave pérégrination dans l’espace de la mélancolie d’un écrivain japonais Sakutaro, amoureux de la littérature et de la poésie françaises mais qui, un jour, décide de quitter sa vie parisienne, de faire table rase de la plupart des objets qui l’ont accompagné, de brûler ses vaisseaux et de partir s’installer dans le sud-ouest de la France afin de disparaître du monde. Là, il va se remettre à écrire et à se livrer à la vertigineuse revisitation du passé, de son amour pour Hatoko, leur vie commune, les moments partagés avec leurs familles au Japon, les circonstances de sa mort…
Nous sommes dans une « fabrique de souvenirs » qui bascule dans la reconquête de soi. C’est à un véritable renoncement que Sakutaro se livre et l’autrice, dont c’est ici le premier roman, accompagne son personnage dans ce dépouillement majestueux en faisant, avec subtilité et une connaissance profonde, les allers-retours entre poésie française et poésie japonaise.
Pour les lectrices et lecteurs touchés par la culture nippone, Carine Mestdag offre, en fin de volume, un important appareil critique et documentaire sur la culture littéraire japonaise. Précieux complément…
Gémissent les bois
chantent dansent leurs feuilles
au souffle du vent
Dans cette maison tout équipée, l’écrivain Sakutaro se laisse inséminer par la beauté du paysage et ce chant du chardonneret qui est comme le témoin annonçant sans cesse la renaissance de notre rapport au vivant. Les oiseaux ponctuent ce récit comme les haïkus qu’il décide d’écrire jour après jour car le temps d’un nouveau roman n’est pas encore venu. Ces haïkus forment le motif de la tapisserie du récit, on peut y lire les épiphanies, les renoncement et les émerveillement qui se dessinent peu à peu dans la vie de Sakaturo.
La montagne bleue en bordure de mer
ne bouge pas
mais l’esprit de l’oiseau sur les vagues
s’échappe
Et suit le courant du fleuve
Carine Mestdag, dont la vie est également marquée par la culture japonaise, a pratiqué la médecine générale pendant plus de trente ans et s’est formée à l’acupuncture, la phytothérapie et la nutrithérapie.
L’écriture de l’aurice révèle un talent particulier pour tendre un récit sans aucune pesanteur, fluide, elle n’en est pas moins vive dans le sens où les actions, les intentions, les émotions, les pensées du romancier sont subtilement offertes sans jamais être entièrement dévoilées. C’est là que le lecteur trouve matière à sa propre revisitation de ce qui, en chacun de nous, apparaît comme une ligne mais est souvent matière de fragments que l’écriture relie. Un roman n’est pas là pour nous convoquer à un plaidoyer, nous confie secrètement l’autrice, mais plutôt un endroit qu’on appelle « le point aveugle », cet espace qu’il s’agit de tenter d’explorer afin que ce qui n’est pas dit puisse être entendu. Le livre de Carine Mestdag explore cette zone de clairvoyance que le personnage de Sakutaro parcourt tout au long de la remémoration des événements marquants de sa vie, revitalisée par cette mise « en demeure » de recul du monde…
Les cigales vont mourir
mais leur cri
n’en dit rien
Un roman ne cherche pas un « sujet » mais un prétexte à visiter les zones les plus embrouillées de nos vies et de ce que nous recevons du monde. En ce sens, Le chant du chardonneret est magistral, il entrelace les pics de conscience, les éveils aux retrouvailles nouvelles du romancier avec la nature et l’infinie évidence de notre fugace passage.
Daniel Simon