Daniel SIMONAutobiographie rêvée, Mons, Couleur livres, coll. « Je », 2016, 88 p., 10 €   

Croquis par l'OgreDaniel Simon, écrivain multiple et magister particulièrement actif dans la propagation de la lecture et de l’écriture, décline les beaux fantasmes de l’enfance sous les espèces d’une Autobiographie rêvée toute en images fortes et poétiques. Le texte central L’Ogre des cabanes précède Les fleurs en papier crépon, évocation romantique des souvenirs d’un séjour à la Mer du Nord vécu par le petit natif de Charleroi accompagné de sa maman. 

Retour à l’Ogre. Ce n’est pas rien d’être enfant, même et surtout si l’on est aussi cet Ogre qui hante son imaginaire et qui développe autour de lui un univers de lieux et de personnages « construits à partir d’un mot, d’une lumière, d’une couleur entrevue la veille« . Des sensations que l’Ogre griffonne au sortir de ces nuits habitées, avant de naître, c’est-à-dire de savoir qu’il est l’Ogre affronté à un monde encore étranger, mais déjà menaçant. Et qui fait fermenter en lui les germes de la rébellion. Celle que tout enfant connaît ou devrait connaître et qui n’est pas une hostilité déclarée, mais le sentiment d’être enfermé dans un monde qu’il ne comprend pas et duquel il entend s’isoler. Ainsi vit-il bientôt le fameux syndrome de la cabane, vrai rite de passage à la fois obligé et merveilleux. Une manière de marquer son territoire et d’affirmer hautement son autonomie grâce à cet abri précaire – morceau de toile, quelques branchages – auquel il imposera les lois de son univers particulier. Mais l’Ogre, fort aussi de sa nouvelle indépendance ainsi inaugurée, rêve de fuir plus hardiment un entourage qu’il comprend mal, un monde qui vit dans la peur de la Bombe ou d’un tas d’autres menaces. Il tente de conquérir son « Nouveau Monde ». Le voilà donc qui, une nuit, s’échappe de la maison, franchit la limite du jardin et improvise sa cabane dans la forêt, première étape de ses exploits de rebelle et de conquistador. Cette première nuit est celle des éblouissements, des confusions délicieuses et effrayantes entre les rêves et fantasmes qui se bousculent dans sa tête et la réalité mystérieuse, parfois menaçante, des multiples bruits et bruissements de la forêt. Mais sa détermination, il le sait, doit avoir raison de toutes les peurs et de tous les pièges. L’auteur revit avec une empathie saisissante et pétrie de poésie cet affrontement avec l’inconnu qui se révèle à l’enfant qu’il fut. Et le mélange de ce questionnement tout de même inquiet avec l’ivresse de sa liberté nouvelle et le sentiment de sécurité et d’indépendance que lui inspire son « camp de base ».

L’Ogre regarde sa cabane au loin et se dit que le bonheur d’être un ogre ne peut être comparé à rien quand il a une cabane pour se réfugier les soirs de grande solitude. C’est là qu’on peut parfois pleurer sans que personne n’entende ni ne voie rien du chagrin d’être au monde.

Comme ces aller-retour si chers aux enfants plus vifs et rapides que les adultes, Daniel Simon, au cours de cette initiation forestière – d’un réalisme quasi magique, mais aussi symbolique de l’éveil à la vie à venir – poursuit un merveilleux dialogue implicite, à la fois nostalgique et positif, entre l’enfant et ce qu’il deviendra dans le futur qu’il est en train de forger.

Après un  rite lustral – une plongée dans l’eau d’un étang après s’être enduit de boue –, bien symbolique lui aussi du nouvel homme sorti de la forêt, l’enfant « entend le bruit de la ville, aperçoit sa maison, rassurera ses parents, racontera mille histoires qui ne seront jamais les mêmes et cela durera longtemps.« 

Le lien de l’homme avec l’Ogre qu’il fut n’est pas rompu pour autant : « Je n’attends pas de ses nouvelles mais je les espère souvent à la tombée de la nuit.« 

Fugitivement évoqué dans ce premier texte, le séjour de l’enfant à la Mer du Nord baigne à nouveau Les fleurs en papier crépon de vagues de poésie. Daniel Simon y conte les amours enfantines entre le narrateur et une petite fille noire sur une plage du littoral belge où vient s’échouer une baleine désorientée que l’on sauve et renvoie à la mer sous le regard ému des deux amoureux qui, avec les autres enfants, l’ont recouverte de fleurs en papier. Une histoire dont chacun « raconte que c’est arrivé chez lui, sur sa propre plage, mais ça c’est une autre histoire« .

Des histoires qui ne seront jamais les mêmes… C’est peut-être cela aussi, l’âme de la littérature…

Ghislain COTTON