C’était une sorte de steppe, des landes à l’horizon de sapins. Les légendes y couraient comme les lapins entre les buissons, les terres spongieuses et d’herbe sèche en avaient déjà trompé plus d’un qui avait la mauvaise idée de s’aventurer hors des sentiers balisés et s’était alors inexorablement enfoncé dans les fondrières.
Tout semblait se ressembler mais il suffisait de plisser les yeux pour voir apparaître des subtilités de tons et de couleurs, de miroitements qui laissaient souvent les randonneurs muets devant le frémissement de cette cathédrale horizontale.
Un entrepreneur touristique avait eu la bonne idée d’organiser des promenades à dos de mules - « Comme avant ! », disait-il – et, pour se faire connaître aux familles qu’il convoitait en priorité, il offrait la première randonnée.
Des familles empressées étaient impatientes ce jour là…Pensez, une balade gratuite à dos de mule, rien que pour les enfants et pendant ce temps, la buvette offrait les premières consommations…Une sorte de paradis pour paresseux de l’apéro.
Les muletiers présentèrent les mules, de braves bêtes à la tête basse, mais dures à la tâche et qui marchent lentement, en toute sécurité pour les enfants, répétaient-ils.
Le mot, le sésame de « sécurité » l’avait emporté définitivement ; les enfants furent hissés sur les montures dociles, les parents applaudissaient leur progéniture si audacieuse, si confiante, si belle, si rieuse, si…Et après des dernières embrassades, des cris de joie, des encouragements, les muletiers, les mules et leur charge infantile s’éloignèrent lentement sur le chemin balisé.
Les parents retournèrent à la buvette et le temps passa. Deux heures plus tard, les muletiers, leurs mules et les enfants n’étaient pas réapparus. On s’inquiéta, puis on trembla, on pleura, on appela la police qui entreprit immédiatement des recherches. Les policiers, une heure après revinrent bredouille, on appela les chiens et ils repartirent.
Quand le soir tomba, on distingua les mules dans le soleil couchant, les muletiers pleuraient, agitaient les bras, étaient comme suffoqués d’angoisse, les policiers avaient la mine sombre.
« Ils ont disparu ! Aucune trace. Rien… », dirent-ils en tentant de contenir les parents ; les muletiers n’y comprenaient rien, les mules avaient accéléré le trot et étaient rentrées un peu plus tard, seules, les enfants avaient littéralement disparu, ils n’y comprenaient rien.
Les parents se ruèrent alors sur le sentier criant et s‘enfoncèrent dans la nuit.
On ne les revit jamais.