Une lecture magnifique de Philippe Rémy-Wilkin...Merci!
Daniel Simon, Ce n’est pas rien, recueil de nouvelles et textes brefs, M.E.O., 2018, 122 pages.
Quoiqu’à distance, le lisant de loin en loin (une nouvelle dans la revue Marginales par-ci, un article littéraire dans Le Carnet et les Instants par-là), le croisant à peine, j’ai accumulé une bonne dose de respect et d’estime pour Daniel Simon. Me frappent l’intensité mise dans ses écrits, notion que je place très haut dans la constitution du fait artistique/créatif, la qualité de sa plume et un détail amusant (mais est-ce vraiment un détail ?) : il est l’un des seuls auteurs lisant ses propres textes avec un talent de comédien, une présence scénique.
D’un autre côté, mes prédilections me poussent vers le grand large, les fresques, la structuration puissante, l’immersion… et Daniel est un expert du bref, de l’éclat (NDLA : morceau d’un Grand Tout… dont il fait l’impasse), il nous offre même ici non pas un classique recueil de nouvelles voire de poèmes mais plutôt une collection de… textes divers (zooms sur une rencontre, une tranche de vie ou un destin, réflexions sur le monde et les individus, etc.).
Plongeons !
Si on tente de rationaliser, on remarque trois sous-ensembles de textes. Le troisième, Modeste proposition pour les enfants perdus, est un monologue aux allures de conférence sur les thèmes de l’exil et des réfugiés (inspiré par… Swift, ce qui en dit long sur l’arrière-plan qui nourrit les petits cailloux blancs abandonnés par l’auteur), qui a déjà fait l’objet d’une lecture-spectacle. J’y lis ce qui doit recouper un pan d’identité de notre auteur :
« (…) mon état, mon âge, ma situation limitent le champ de mon action, je ne le sais que trop, mais ce que je fais, je tiens à le faire entièrement et avec une véritable précision. »
On dirait un personnage de La Peste, ce roman sublime où Camus étale l’absurde (et la difficulté) d’être/du monde et, tout à la fois, la dignité qui nous échoit de résister. Faire de son mieux, avec les moyens du bord mais avec application.
Allons à rebours. La première série de textes est intitulée Nouvelles de notre Monde. Mais sont-ce des nouvelles ? La frontière des lentilles esquisse excellemment un personnage, Gus, qui demeurera sur le seuil d’un véritable récit. L’essentiel est donc dans le portrait d’un homme debout (camusien encore !), qui déploie une farouche indépendance :
« Regarder le monde sans y croire, se jeter dans l’océan, nager à perdre haleine sans espoir de retrouver la terre au loin, mais se mettre sans rechigner à faire avec soin ce métier d’homme sur cette parcelle du globe. »
Les réflexions sont portées par une écriture ciselée mais ferme :
« L’Europe avait été taillée comme une lentille, elle pouvait devenir le verre ardent qui engendrerait l’incendie ou offrir à l’homme penché sur le cristal poli une entrevue avec un univers libéré des dieux. »
Quant à la deuxième anthologie de brèves, Promenades, qu’en est-il ? De petites fictions, des proses poétiques. Qui ouvrent des sillons. De sensations, de réflexions. Sur le monde des écrivains ou celui des couples, notamment. Toujours transcendées par la précision virtuose de l’expression :
« Je venais d’entrer dans le célibat comme on part en voyage, délesté de presque tout, curieux d’un présent sans avenir, hanté par la vitesse du jour et l’immobilité des nuits, j’étais presque mort. C’est le « presque » qui rendait la vie supportable. »
Le monde où se faufilent les narrateurs, qui me paraissent autant de métamorphoses de l’auteur (NDLA : à tort ?), semble souvent hostile et fou, hanté par des perroquets prédateurs, des femmes trop indépendantes et glacées, des enfants assujettis déjà à l’hypocrisie de l’intérêt. Il y a du Haddock face à la horde de Séraphin Lampion, et du Tati aussi, en sidération mélancolique devant une modernité bruyante, agitée, en perte d’âme, de contact. Mais l’espoir existe, la lueur au cœur des ténèbres. Il suffit d’un acte gratuit (des pompiers venant sauver un chaton), de deux personnes qui se rencontrent dans l’empathie, la perception de l’instant d’or.
Bref (NDLA : c’est le cas de le dire), Daniel Simon est un auteur qui évacue ce qui lui semble accessoire, artificiel (une intrigue centripète) pour raconter ce qu’il désire intimement partager : une rencontre, une réflexion, une perspective. Il s’offre une liberté totale. Et ses billets d’humeur fictionnalisés inventent quasi un nouveau genre. Pas étonnant, dès lors, qu’il aille se nicher au sein des éditions M.E.O., qui osent si souvent évacuer l’étiquette, le court terme… et la narration pure qui m’est chère (NDLA : mais dont j’arrive à me passer à l’occasion, donc, échappant aux limites de mes attentes).
A déguster comme un café serré, une liqueur. Avec parcimonie, un texte par jour ou par séquence de jour, mais dans l’intensité et la communion. Comme autant de pastilles de vie (au sens fort) détonnant dans un univers où la fadeur se révèle invasive à la manière de certaines algues.
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