« Tiens-toi droit, tiens-toi droite ! »
C’était la posture de la dignité, de la liberté, d’une sorte de corps échappé aux galères du temps, le corps de tant de générations qui avaient connu le joug de la misère, de la servitude, de la maladie et des humiliations, c’était le legs d’une histoire médiévale jusqu’aux années 60 ; ce n'était ni le corps du bourgeois ni de l'ouvrier ou du paysan, c'était partout le signe physique d'une dignité héritée ou conquise, le corps semblait une forteresse tant la violence des temps industriels pesait et détruisait. On se tenait droit pour résister à la brisure, à la cassure terrible du travail ou des machines idoines.
Peu à peu les Bouvard et Pécuchet du temps ont salué le confort permanent comme la seule quête mystique des pauvres d'esprit, il fallait concasser de toutes les manières, la plus simple étant de gaver et de gaver encore. Peu importait la matière, le vide l'emportait.
Enfin les corps se sont écroulés, écoulés, avachis ; le sucre avait gagné et les nouvelles postures étaient de briser la ligne, de casser les angles, d’abominer les frontières, de privilégier le liquide et ces façons de rendre les corps visiblement soumis à une jouissance légitime et sans fin. L’aliénation remplaça la servitude et, plus tard, ce serait le temps lisse et aveugle des assuétudes. Le langage s’était adapté aux roueries de la dévoration.
Il s'agissait de se ronger soi-même pour mieux s'écrouler devant et avec les autres et jouer ainsi le simulacre d'une sorte d'égalitarisme de la pauvreté.