Des ombres en partage
C’est une mélancolie heureuse et qui traverse le dernier livre de Martine Rouhart, « L’inconnu dans le jardin ». Elle sait la vitesse du temps et des ombres qu’il laisse derrière nous et en nous tout au long de la dégustation du présent. Face au jardin, dans la tombée du jour, elle écrit à propos de la conscience subreptice du mystère souvent évoqué dans ce livre, cette fugacité qui nous tient arrimé à la barre du présent en sachant qu’il est continuellement pourfendu par la lame infinie de notre stupéfaction devant l’accomplissement bref de vivre.
Au fil des pages, on découvre une auteure qui remet sans cesse sur le métier l’ouvrage d’être ici et d’en rendre compte sans aucune illusion mais avec une jubilation qui est probablement la marque de ses vers. C’est mais l’entre-deux du conte et du poème que Martine Rouhart signe ici un de ses livres les plus attachants, probablement grâce à cette liberté de la confrontation avec les ombres, l’orage, le père disparu, dissipé dans ces ombres justement, et les fantômes qui se glissent dans l’entre-lac des pages et des respirations au bord de l’élégie.
Martine Rouhart aurait pu intituler ce recueil de nombreux autres titres tant la limpidité nous confond dans les attaques du poème : « Le jour retombe dans la nuit, le jour ferme les yeux », « Je suis rentrée chez moi avant la pénombre, je savais que quelqu’un m’attendait », « Le jardin flotte dans l’incertitude, entre le visible et l’invisible »…
Cet invisible que le poète ne cesse d'entrevoir est probablement la matière première de ce grand abandon qui nous saisirait sans l’appui d’une langue, d’un langage pour valider notre passage, consolider par la révélation, des entrebâillements que la poésie ne cesse de convoquer.
Martine Rouhart a accompli, dans ce texte, « L’inconnu dans le jardin », probablement sa légende de l’intime et pour le lecteur, une invite à une pérégrination complice et rassérénante.
Bien sûr, les ombres sont toujours là, mais quand elles sont nommées, elles se transforment dans la mémoire en une sorte de saga de notre commun métier de vivre que Michel Joiret, dans sa préface, salue à juste titre..
Daniel Simon
Martine Rouhart, L’inconnue dans le jardin, Éditeur: Bleu d'encre, Préface de Michel Joiret, ill. Christian Arjonilla; 54 pages, 12 euros, ISBN: 978-2-930725-56-7