« N’oublie jamais non plus d’être seul. Jamais. C’est dans la solitude seulement que le tunnel de ta vie se laisse trouer par la lumière ».
Le temps est la meilleure fabrique de littérature, ce temps qui se dépose sur le souvenir et l’efface peu à peu. Il s’agit alors de créer cette forme de vécu réinventé par l’écriture. On ne dira jamais assez le supplément de vie dont profitent les lecteurs en faisant ces éternels cent pas dans l’espace intime de la littérature. Denys-Louis Colaux, dans son dernier livre, Ce que, s’il fallait croire, je croirais avoir été, a particulièrement accompli cette transmutation par une langue puissante et subtile.
Voilà un livre majeur dans l’œuvre de l’auteur et un livre qui compte dans le champ du souvenir amoureux. Deux hommes, l’un jeune, l’autre dans la cinquantaine, dialoguent secrètement à propos de ces fumées dispersées dans le ciel des passions. Ces deux hommes ne font qu’un, évidemment. C’est le temps qui les a momentanément dessoudés. Le livre se joue dans cet écart entre ce que l’auteur se souvient avoir vécu, qu’il relate comme un vécu toujours vif, qui est cette expérience de l’amour et de l’adoration de la femme et la contemplation d’aujourd’hui de ce même homme face à ces souvenirs et à ces réminiscences où la fin du voyage tremble en filigrane.
Ce que, s’il fallait croire, je croirais avoir été est un livre émouvant tant le style retient juste à temps un baroquisme qui risquait de détendre le dépouillement spirituel que l’auteur développe surtout dans l’espace de la forêt. Cette forêt où l’homme fait se livre à des méditations douloureuses, sensuelles, exigeantes, inquiètes. Dans cette forêt où la grandeur nous tient à la gorge, Denys-Louis Colaux livre ses plus belles pages. « Une chose que je sais c’est qu’on est quelque fois un fétu de paille, un papillon, un pli qu’un coup de fer efface, une chose dispersée dans la mémoire des femmes ».
La violence du monde est aussi au coeur du livre avec ce qu’elle défait en nous, brise, saccage, abrutit. L’auteur tient serrée la laisse de sa colère mais on sent que la bête tire, halète, renifle chaque recoin où passent les hommes.
Un livre bruissant comme le cœur d’un poète alerté dans le souvenir des plus éminents des saccages : ceux de l’amour. Alors le poète met le genou en terre et rend grâce et hommage au cercle féminin des intrigues et des charmes. La prétention des faux sages de note micro-temps est aux antipodes de l’engagement de Denys-Louis Colaux dans les tourments d’un humaniste en déséquilibre comme les clowns que nous sommes.
La littérature nous fait la grâce de les reconnaître, la bêtise, de les dénier. Le poète ici, les fréquente avec cette familiarité des humanistes égarés dans le monde global.
Daniel Simon