Le froid était de retour et avec lui la netteté radicale des inégalités. Le froid c'est la pauvreté à l'épreuve du feu. On meurt dans la rue, au pied d'un pont, en s'écroulant de malheur et d'ivresse au coin d'un parc, gelé le matin, dans l'incendie de son habitation, le pétrole du chauffage bricolé s'est répandu sur le tapis et tout flambe, on saute par la fenêtre, souvent l'oxyde de carbone a saisi la famille tout entière dans un sommeil délétère. Le froid ne convient qu'aux forts ou aux argentés. C'est la loi invisible de la guerre silencieuse.
Dans les Marolles...
Je me gare, j'entends un miaulement aigu, je regarde alentour, un attroupement, je m'approche et aperçois deux pompiers couchés sous une voiture, les miaulements augmentent...Quelques secondes plus tard, un des premiers dégage et brandit un chaton. L'assemblée applaudit. Je frissonne et me dis qu'on est bien bêtes devant des émotions aussi justes et simples. Deux pompiers bardés de cuir sauvent un chaton coincé dans des essieux et me voilà les yeux humides.
Je m'éloigne et une dame âgée viens vers moi, toutes dents dehors "Ah, les pompiers! C'est un beau corps vous savez, le corps des pompiers!"
Je ris, l'embrasse, elle me serre dans ses bras et m'en vais heureux.
Les perroquets verts sont les requins des grands arbres. Bruxelles en est remplie. Je les vois apparaître en formations dans le ciel, et, d'un seul corps plonger sur un bosquet, un parc, une futaie.
Ca criaille, ça crie, ça gueule, c'est comme les anglais après le foot qui, à Ostende, boivent toute la bière qu'ils peuvent payer avant de regagner leur zoo. Des brigades de fin du monde. Je pense que ces perroquets sont anglais...
Ce sont des prédateurs sans pareils, plus de rongeurs, d'écureuils roux dans mon parc, tout est nettoyé à coups de becs acérés, impitoyables. Ce sont les "Oiseaux" d'Hitchcock, ils attendent que nous baissions la garde. Les oiseaux, disaient les grecs, vont là où les hommes ne peuvent aller, ils sont en ce sens à l'égal des dieux.
Je les entends piailler du haut de leur fiente hautaine et je les crains.
Le premier degré était la température la plus froide. L'époque était glaciaire, les juges infestés d'ignorance ou de tremblotantes vengeances contre la médiocrité de leur cru, taillaient, tranchaient, admonestaient, ricanaient des platitudes répétées comme des lois, la plaisanterie était traquée, l'ironie échaudée, la parodie écartelée, les vierges hurlaient, les vieillards les encourageaient, parler se réduisait peu à peu à gargouiller quelques locutions à l'emporte-pièce, écrire était frappé de la bonté obligatoire, les arts reconnaissaient le cynisme comme dernier bastion, les politiques croupissaient sur des fumiers secrets, le premier degré était la température officielle, Paris était Paris et ressemblerait dorénavant à Paris, Dieu était unique et innombrable, l'exécration de quelque variation de température que ce soit était la norme, quelques mots, "insulte, mépris, respect" faisaient la triade des garrots, tout allait bon train vers l'infernale bondieuserie.
La nuit était tombée à genoux sur la ville et le givre avait glacé ce qui grouillait il y a peu. De ses épaules frissonnantes, la neige voletait dans l'ombre de sa masse assoupie. Les lampes s'éteignaient dans les glacis à l'orée des avenues et des immeubles. Un coulis de fatigue glissait dans les ruelles jusqu'à chaque foyer.
Des oiseaux malhabiles sur la neige, des enfants , des vieux, hésitants et battant des ailes, c'est la vertu de la neige chez les hommes de radiateurs, nous rendre parfois plus vacillants que prévu.
Il y a des nuits comme des courants d'air, un coulis plus qu'une halte, elles passent à travers nous sans réconforter ce qui s'est épuisé dans le jour, ce sont des fausse amies baladeuses. Envie de les mettre dehors et de fermer portes et fenêtres à leur présence obligatoire. Alors, on ruse, on les prend de cours, on allonge le jour par miettes, on les guette et parfois, elles s'assoupissent et nous laissent en paix une heure ou deux.
Un moment physique qui ressemble à l'Histoire, le flash du soleil tueur sur la route. Le pare-brises devient luminescent, nous, aveugles, et seul le rétroviseur est encore visible, mais tout embrouillé de ce flash rayonnant. Un court moment, on roule en "mémoire" d'une route qu'on ne voit plus....