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Sous le rideau, la petite valise brune de Françoise Thiry

 

Valise à double-fond

 

Alors que le monde ne cesse de louer les bienfaits de la multiculturalité et, paradoxalement, de renforcer les questions identitaires, des boîtes de Pandore s’ouvrent un peu partout. Elles recèlent les acteurs, les témoins, les victimes, les complices, les institutions, les secret d'état, les myopies religieuses,… qui se répandent alors en débandade sur la terre.

 

On n'en finira pas de dénoncer les obscurités qui sont toujours au pied des lumières déclarées, ça s’appelle l’Histoire. N'en finissons donc pas, mais la distance est nécessaire pour faire de ces expériences individuelles et collectives des actes d'Histoire aux responsabilités déclarées.

 

Le métissage, porte en lui cette part de lumière et cette part d'ombre. Encore faut-il que la lumière n’aveugle pas qui la regarde.

 

Les témoignages, les récits, la fiction, sont les contreforts des faits et des actes.

 

Chaque livre est une façon de déjouer la parole commune, de la prendre au piège de ses secrets.

 

Françoise Thiry vient de nous offrir un très beau livre au titre parfait, Sous le rideau, la petite valise brune, sous la forme d’un soliloque adressé par l’auteure à elle-même.

 

Dans Sous le rideau, la petite valise brune, elle remonte le fil d’une histoire personnelle, collective, celle des enfants métisses nés dans les circonstances de la colonisation. En ce qui concerne la Belgique, la colonisation fut multiple : politique, économique, culturelle, religieuse et bien sûr idéologique.

 

Dans son récit auto-biographique, Françoise Thiry  raconte l’histoire de la petite France née de mère burundaise et d'un père belge. Ce qui en soi n'a rien d'exceptionnel à l’époque. Ce qui constitue le noyau dur de ce très beau livre, c'est l'histoire d'un d'enlèvement, d'une soustraction à sa propre histoire que cette petite fille a vécu à l'âge de 6 ans.

 

France disparaît donc de son histoire, en 1966, dans un Boeing de la Sabena qui l’amène sur le sol de Belgique, enlevée par l’Eglise catholique. Là, elle sera adoptée par un couple belge et fera ce qu'on lui demande, ce qu'elle comprend être vital pour éviter la déshérence des internats : s’employer à tenter d’effacer peu à peu sa réalité africaine. Mais cet effacement renforce la trace, évidemment.

 

Le récit de Françoise Thiry est criblé de signes, d'expériences plus ou moins douloureuses heureuses, la langue est lumineuse et parle net.

 

 Sous le rideau, la petite valise brune est un titre magique, le rideau et la valise rassemblent la fragilité d'une double réalité : celle de l’être là, celle de prendre place dans la maison, et toujours celle de reconnaître en soi la forme de la petite valise brune qui signe le départ.

 

Juger le passé à l'aune du présent est toujours difficile pour dénouer le juste de l’injuste, le bien du mal et libérer ainsi celles et ceux qui sont enfermés dans cette double fidélité de l'identité.

 

Françoise Thiry est une femme d'accueil, de transmission et de relation. Dans ce premier livre elle vient de nous enrichir d'une nouvelle expérience qui forme la conscience.

 

L'oubli souvent fait le lit de la tranquillité provisoire d’une génération. Se souvenir, ce n’est pas se surexposer, ni croire en une vérité parfaite, non, nous savons que la mémoire est plastique, souple, elle s'adapte à chaque moment de la vie des sujets pour que la vie puisse se délier. Mais des plafonds de verre, des trous noirs, des abysses, sont autant en nous que le désir de vérité.

 

L'écriture, l'écriture exigeante, demeure alors la meilleure cordée pour remonter jusqu'à la crête de nos expériences fondatrices.

 

Quand, dans la forme du récit, le lecteur peut prendre place, il agrandit le monde.

 

Le nôtre vient de grandir grâce au livre de Françoise Thiry.

 

Daniel Simon

 

Françoise THIRYSous le rideau, la petite valise brune, M.E.O, 2017, 17 €, 204 p., ISBN : 978-2-8070-0131-2

 

 

Un autre regard...qui n'est pas passé par l'écriture romanesque...

Lili Sorel, Dans mon pays, loin de mon pays  Le métissage en héritage

Editions Couleur livres / Collection Je   –  www.couleurlivres.be, 130 pages

 

La collection je, dirigée par Daniel Simon, rassemble des récits de vie et des témoignages. Le livre de Lili Sorel s’inscrit totalement dans cette optique en relatant une partie de notre histoire relationnelle avec le Congo belge et tout les faits et vies qui ne cessent d’en découler. L’auteur explique, dans l’avant-dernier chapitre intitulé « Ecrire ? », comment elle est parvenue à l’ultime étape, la publication, de ce qu’elle venait d’écrire : sa vie, ses douleurs, ses souffrances, tout ce qu’on a toujours tenté de lui cacher. « Je décide d’écrire un livre qui raconterait les aventures, les souhaits, les blessures et le combat de deux enfants métis, une sœur et son petit frère, privés de leur mère et d’un de leur pays, riant malgré tout. »

 

Le récit :

Le père de Lili rentre en Belgique, son pays, avec ses deux enfants, Lili et Pierre, âgés respectivement de quatre et un an et demi. Retour sans la mère des enfants.

Ils vivront avec une belle-mère qu’ils n’aiment pas mais surtout, il leur faudra de très nombreuses années pour comprendre qu’ils ne reverront peut-être plus leur mère. Ils apprendront bien plus tard qu’elle est décédée et donc tous les espoirs s’envolent d’un coup. Les deux enfants seront soudés dans toutes les difficultés qu’ils rencontreront (école, quotidien etc.). Et si Lili a ce côté protecteur pour son petit frère, elle ne remplacera pas non plus sa mère pour lui. Elle ne cessera de lutter. 

A la page 107, donc quasi à la fin du récit (ce qui démontre que le processus fut lent, très lent mais la cause jamais totalement désespérée), elle écrit : « Je peux désormais situer sur carte le village d’origine de ma famille maternelle et c’est une réelle fierté. Ne pas savoir d’où je venais étais une souffrance quotidienne, je n’étais reliées à aucun endroit, communauté ou langue. »

Le récit relate les faits de manière très simple laissant ainsi apparaître la souffrance aiguë qui habite Lili et son frère, les différences, le métissage et ce pays, cette mère congolaise dont on ne veut parler. Qui mieux que le titre pourrait dès lors résumer ce qui taraude le corps et l’esprit de ces jeunes métis vivant en Belgique : « Dans mon pays, loin de mon pays » de même que le sous-titre « Le métissage en héritage » ? Des êtres toujours à la recherche de leurs racines et qui ne pourront « comprendre et vivre leur vie pleinement » qu’après avoir obtenir quelques éclaircissements à ce sujet.

« Je veux agir seule, c’est mon combat. Je veux « reprendre ma vie », me la « rapproprier », je ne veux plus d’une « demi vie » comme je l’ai lu dans le livre de G.N. Fisher. Il est temps de sortir de l’ornière de mon chemin et de donner consistance à mes désirs et souhaits. »

Un récit émouvant à lire pour toujours mieux comprendre ce que vivent des êtres partagés entre deux pays, cultures, couleurs, lieux, etc. Ce que nous croyons en savoir est bien loin de la réalité.

Danielle Gerard

 

http://areaw.org/lili-sorel-dans-mon-pays-loin-de-mon-pays-le-metissage-en-heritage-couleur-livres/

Tag(s) : #Lectures
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