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Bonus...  "Autobiographie rêvée"

 

Autobiographie rêvée

 

de Daniel Simon

 

Éditions Couleur Livres, collection Je, 2016.

 

ISBN 978-2-87003-652-5 / février 2016    -   90 pages / format 13*21 cm / 10 euros

 

L’Ogre des cabanes


suivi de


Les fleurs en papier crépon

On quitte son enfance d’un coup, comme ça, sans crier gare. On n’est plus éternel, on le sait, on laisse sa cabane derrière soi, on devient un homme parfois. L’Ogre est encore petit, il s’est enfui… dans la Grande Forêt. Les adultes parlent d’invasions, de Bombe, de nouvelle guerre. Ses parents attendent la fin du monde en faisant des réserves, toujours les mêmes : riz, sucre, allumettes, huile, boites de conserve… 

L’Ogre a décidé de résister, il fuit cet univers de mort et de peur, il s’engage dans l’inconnu fabuleux où il va entrevoir ses vies futures dans le mystère et la solitude.

L’Ogre apprend enfin à vivre, il pourra mourir autant qu’il le voudra, dans les histoires qu’il peut maintenant dresser contre la peur originelle.


Daniel Simon, né à Charleroi en 1952, vit à Bruxelles. Ecrivain, éditeur, metteur en scène. Après divers métiers (formation, enseignement…) et voyages, il anime des Ateliers d’écriture et se consacre entièrement à l’écriture et à l’édition.
 

(Extrait, début)

 

C’était la nuit et je n’avais pas peur,

c’était le jour et j’étais un guerrier,

un enfant oublieux des terreurs anciennes,

certain d’aller si loin que je disparaîtrais

de la vue de tous dans des terres inconnues

que je voyais en moi, les années ont passé,

le monde a rétréci et le temps s’est joué

des exploits inachevés, des océans vaincus,

des féroces combats perdus bien plus souvent

que je n’avais prévu au fond de mon grenier

quand je lisais le soir mon destin héroïque

dans des livres d’images, j’ai ramené des voiles,

ralenti la cadence, changé de cap souvent,

me suis noyé encore, encore, au plus profond souvent,

j’ai ouvert tant de livres, vécu avec des hommes

chargés comme des mules des chagrins de toujours,

des joies libres comme l’air,

un matin, enfin, je me réveille enfin,

en moi, les autres sont entrés,

découvert le grenier et mes livres précieux,

cela ne pèse plus, le monde est plus léger,

le guerrier a vieilli, son armure a rouillé

et le visage nu, il va,

sur des sentiers nouveaux,

pas à pas, vers la grande forêt.

 

C’est ici que je reprends l’écriture de l’histoire de

l’Ogre. Je vais tenter de la raconter, comme celle

de toute une génération qui a eu le temps de se

perdre dans l’ennui et l’exploration en attendant la

fin du monde qui ne venait jamais.

Peut-être que c’est pour bientôt, il paraît, semble-t-il,

ça approche, comme tous les ans, c’est pour

bientôt.

 

Je ne pense pas que l’Ogre aie eu réellement peur.

Il a été blessé, sali, abîmé comme beaucoup d’enfants

mais ça ne l’inquiétait pas particulièrement.

C’était comme ça. Ça ne l’empêchait pas de mourir

sur place, c’était comme ça et on n’en parlait plus.

Entre deux tours de vis, deux serrements d’écrou, il

s’évadait dans ce qu’il pouvait, dans ce qu’il avait à

sa portée : parfois des livres, souvent rien, le vide,

rester fixe, regarder devant soi, respirer à peine

et laisser grandir toutes ces étranges histoires qui

l’étouffaient.

 

Pour suspendre le temps et se sentir à l’abri des

vacarmes, il ne fallait pas bouger d’un millimètre,

retenir sa respiration, la contrôler lentement, très

lentement, qu’on ne l’entende plus, aucun bruit

dans les oreilles, plus rien dans la tête, le vide, l’immobilité,

le souffle tendu, en apnée et ça dévalait

alors comme des chevaux dans le Grand Canyon.

 

Il aimait entrer dans cette bulle comme dans une

caverne où il faisait apparaître de formidables

monstres qu’il maîtrisait pas à pas. La ménagerie

s’est agrandie au fil du temps et la caverne a

rétréci.

 

Il s’est longtemps amusé de ces face-à-face. Il se

couchait, regardait le plafond, retenait sa respiration

un bref instant et d’un coup, il se reconnectait.

Tout émergeait, remontait jusqu’à sa tête,

ses jambes, ses bras, sa gorge, il était transporté,

le corps léger, libre, dans le temps et l’espace de

son choix.

 

Il plaçait ses personnages, construits à partir d’un

mot, d’une lumière, d’une couleur entrevue la

veille. Un chien aboyait, des enfants jouaient dans

la rue plus loin et il en faisait matière, tout s’imbriquait,

il laissait faire, ça s’associait librement

devant ses yeux et il n’en dormait pas souvent.

Le matin, tout était prêt, il écrivait dans son cahier

bleu ses histoires et ses questions sans réponse.

Des images ont persisté, des phrases, toujours

les mêmes, sont revenues lui grignoter l’oreille, il

s’éveillait en nage, calmait ses protagonistes, allait

faire pipi. Quand il se remettait au lit, ils étaient

dociles mais entrouverts comme des mains de

vieux sur la table.

 

Quand il a vieilli, il a écrit des morceaux de cette

aventure ancienne, il a essayé de ne pas oublier

la rage qui était en lui, et pourquoi cette rage

et aussi cette façon de ne pas croire et ne pas y

croire. Il pouvait aimer, oui, aimer de plus en plus

fort d’année en année, il aimait de plus en plus

intensément, se laissait emporter par cette nécessité

d’aimer. Plus que d’être aimé probablement.

C’était plus sûr.

 

Les adultes, les journaux, la télévision, ne parlaient

que de ça… D’invasions, de dangers, de la

Bombe. Mes parents disaient qu’ils avaient peur

pour moi mais je ne les croyais pas, je voyais que

c’était pour eux, cette peur, d’abord pour eux,

qu’ils l’avaient fabriquée pour se protéger du

monde ou quelque chose comme ça, pour s’obliger

à supporter et à se distraire des…

J’ai donc aujourd’hui repris les textes laissés par

l’Ogre et les ai relus. Je vais tenter ici de mettre un

peu d’ordre dans tout ce qu’il a griffonné avant,

pendant et après son aventure. J’ai souvent le sentiment

de glisser vers le grand lieu de la disparition,

et les textes que je laisse ici et là à la disposition

des lecteurs sont probablement une façon

d’enfoncer mes ongles dans la paroi et de ralentir

la glissade finale.

 

L’Ogre a appris lors de son grand voyage tout ce

qu’il devrait connaître pour survivre à l’aigreur,

aux tromperies, aux abandons et aux coups bas.

Il a appris à contrer ce à quoi est confronté chacun.

Il a glané dans ces épreuves de la joie et

une sorte de légèreté qui le corsetaient quand sa

colère fulminait.

 

Ses colères naissaient de ce sentiment d’injustice

et de mensonge qu’il avait vite repérés dans

le monde des adultes. Il les dévoilait quels que

soient leur déguisements, emphases, litotes… Une

parole, une intonation, un regard et il débusquait

le mépris, entrevoyait la veulerie à l’instant.

Il était encore petit, l’Ogre. Mais il grandirait

vite. Trop vite. Dans sa famille, on disait de lui :

“Comme il grandit vite, comme il est grand !”.

Il quitterait sa taille d’enfant, il allait perdre ce

qu’il aimait le plus, regarder le monde du bas vers

le haut, en admiration, devant le scintillement du

ciel.

 

Je sais, je me souviens aujourd’hui de ce qui a

fabriqué l’Ogre.

L’Ogre sait ce qu’il fait, il croit encore, il n’est pas

marqué par l’usage et le poids du passé. Il peut se

lancer, aller droit, marcher, envisager. L’Ogre est

en train de naître.

 

Les nuages sont hauts et c’est dans cette lande

sans contour qu’il veut aller. La langue qu’il parle,

est-ce déjà la sienne ou celle qu’il veut conqué-

rir au long de ce récit ? On ne sait pas encore.

On comprendra peut-être plus tard. Dans tous les

cas, il part pour survivre. En ce moment, il ne sait

encore ce qu’il fait, il joue à un jeu dangereux.

Il joue, il ne faudra pas oublier qu’il joue. A quelle

roulette joue-t-il ? C’est une autre histoire, mais il

joue sans cesse, pour ne pas ressembler à ce qu’il

semble déjà condamné.

 

Au début, dans la maison, il y avait la joie, puis

les cris, puis le silence. Ce silence que les enfants

souvent boivent jusqu’à la lie quand ils ne sont

pas cloués contre leurs fines parois de solitude.

De ces bruits sans pardon, il pourrait dire beaucoup

mais il part pour ne plus les entendre. Ce

sont rugissements, gémissements, râles, cris per-

çants, extinctions, aboiements souvent.

Il aime traîner en lui, s’ennuyer jusqu’au vertige,

s’arrêter sur des impressions volatiles, les retenir

en les parcourant en tous sens, avant qu’elles ne

s’échappent et se dispersent dans le monde. Il

s’emploie souvent à rester immobile, devant une

chose, n’importe laquelle, une chose qu’il regarde

longuement et qui devient belle, parfois, unique.

Il regarde ce qui l’entoure, il tente de garder ce

qui échappe de lui.

 

Il en avait entendu des récits, des histoires de

guerre, de Jaunes, de Rouges qui allaient débarquer

et nous enfermer ou nous tuer, et la Bombe

nous protégerait mais tout le monde serait frappé

alors on pensait à cette terrible seconde, on se

voyait dans la lumière finale et on se serrait les

mains.

 

Les parents, la télévision, la radio en parlaient, les

journaux, à l’école, tout le monde, on faisait des

provisions…

 

On surprenait encore des choses comme ça, entre

deux portes, l’air de rien, des femmes qui craquaient,

des hommes qui criaient ou pleuraient,

ça dépend. Parlaient bas, rameutaient de sales

histoires quand ils avaient bu mais nous, on les

entendait… La guerre n’était pas loin, on en parlait

presque tous les jours. Comme cette histoire,

d’une tante luxembourgeoise, mille autres…

“… Je vais vous le dire, c’était pas comme vous le

dites, pas entièrement. C’était mieux, comment on

dit ? Mieux que mal… Pire… C’est ça… Pire. Moi

j’étais à la ferme, Helmut était pas là, Helmut était

loin et moi je livrais le lait, les œufs, je livrais tout

ce que je pouvais livrer pour garder la ferme, ne

pas la perdre, être capable de la tenir si Helmut

était revenu comme ça du jour au lendemain. Mais

je pensais toujours qu’il reviendrait pas, mais ça je

pouvais pas le penser vraiment, ça venait comme

çà, quand j’arrêtais de travailler, le soir souvent,

ou le matin, quand je me réveillais et que le lit

était vide de lui. Je me suis jamais habituée à ça,

le matin quand il faut se lever et qu’on parle à ses

pantoufles comme à un chien allongé au pied du

lit, un bon chien avec ses oreilles pendantes, un

chien qui dit rien mais qui reste près de vous, là

au pied, je parlais à mes savates et je me disais

que j’allais devenir folle un jour, alors je me lavais

et je m’y mettais dur, la ferme, la traite, les œufs,

les tournées, les bonjour, les ça va, les oui, oui,

tout ça, sans Helmut, c’est dur, alors je me suis dit

que peut-être que si je faisais comme si de rien

n’était ça irait mieux, et je me suis mise à rire, aller

mieux, ça me faisait rire, Helmut avait été engagé

de force, il était parti au front, en Flandres, chez

les Français, enfin contre, nous on était contre et

Helmut il savait pas contre qui en fait il devait tirer,

des Français on en connaissait, on avait un cousin

qui avait marié une Française, de Strasbourg, et

on les aimait bien, on les avait vus trois fois, mais

chaque fois c’était bien, comment ils nous avaient

reçu, vous pouvez pas savoir, une grande table,

plus longue que vous pouvez imaginer, elle dépassait

de la salle-à-manger, ils pouvaient la dresser

qu’en été, d’à cause qu’ils devaient ouvrir la porte

de la cour pour la laisser sortir, elle commençait

dans la cour cette table et terminait dans le jardin,

de l’autre côté de la maison, une table comme un

bateau, je sais pas moi, jamais vu de pareille, et à

cette table on était toute la famille, mon Helmut

avait dix ans de moins et moi aussi du fait, et les

cousins fêtaient leur premier, un beau gamin, mais

il est resté muet, je sais pas pourquoi, il a jamais

vraiment parlé, comme si c’était pas nécessaire,

il comprenait tout mais il parlait pas, il regardait,

faisait des choses sans les dire, c’était pas nécessaire

pour lui de parler, bref, mon Helmut il est

en France maintenant et il m’écrit que ça va, que

c’est dur mais que ça va, il m’a dit qu’il allait aussi

bien que le cheval, qu’il galopait et qu’il se sentait

jeune et fort, mais on n’a pas de cheval, et je

sais qu’il me dit ça pour la censure, on n’a pas de

cheval, c’est Helmut qui fait le cheval, en Flandres

contre les Français…”

 

Une autre fois, ils parlaient des Russes, de Sé-

bastopol, de Cuba, du siège de Stalingrad, de la

retraite de Moscou, d’Auschwitz, de Breendonk,

d’Hiroshima, de la Chine, de la Corée, de… Des

millions de morts.

 

Chacun le soir avait son histoire à la bouche, chacun

essayait d’effrayer l’autre alors le père nous

avait demandé de nous taire. Du Grand-père aux

enfants, plus un mot là-dessus.

 

Ça n’arrêtait pas, ça pesait et on aimait ça, les copains

et moi. C’était bizarre, on se disait qu’on

allait enfin la connaître la guerre, mais en mieux.

Qu’on ne serait pas toujours la bouche ouverte

à écouter celle des autres et que nous aussi on

pourrait dire : “C’était…”.

 

On aurait aimé que ça tombe sur la maison des

voisins pour mieux voir ce que ça ferait en vrai.

Ils se mirent tous à acheter des masses de conserve,

de sucre, de sel, de pâtes de riz, de Pilchards, ces

écœurants poissons à la sauce tomate, toutes ces

choses qu’ils pensaient suffisantes pour se garantir

une retraite dans les caves en attendant la Bombe.

On en voyait les ravages à la télévision, certains

tombaient malades de peur, d’angoisse.

La folie de la Bombe était là.

 

L’Ogre écoutait en silence. Il avait tenté deux ou

trois fois de poser des questions mais les enfants

n’avaient pas encore droit aux questions, l’époque

n’était pas aux questions. La guerre, la troisième

allait éclater et chacun s’y préparait plus ou moins

consciencieusement.

 

L’Ogre prit alors sa décision. Il devait partir, vivre

avant le grand blanc final.

 

Il partira donc et quittera sa maison. Il prendra

un sac avec quelques affaires et marchera vers la

forêt. C’est dans la forêt que les monstres trouvent

aussi leur place et il avait appris à les dompter. Il

ne lui restait que ce refuge pour supporter la vie

qui allait être la sienne : un enfant trop grand dans

un monde trop petit. Il avait découvert le minuscule

et le médiocre dans les parades des adultes,

dans les façons de ne pas être présents et toujours

ailleurs à faire des choses qu’ils n’aimaient

pas faire. Il allait devenir un faiseur, comme les

grands, une sorte de pantin maladroit avec sa déjà

grosse voix et son corps encombrant.

 

On lui disait, tu seras ceci et cela et il détestait tout

autant ceci que cela. Mais il était encore petit et la

peur prenait toute la place en lui, rien ne pourrait

le protéger, trop d’amour était nécessaire et il n’a

pas trouvé autour de lui ce qu’il espérait recevoir.

Les enfants, petits et grands, rêvent de mourir

souvent, déjà frappés par le grand consentement

auquel on leur demande d’adhérer

 

Dessins au crayon gras qui ont accompagné la publication au fur et à mesure de l’écriture d’une partie de ce texte sur mon ancien blog : http://traverse.unblog.fr/

 

Je continue d’écrire sur un nouveau Blog : http://je-suis-un-lieu-commun-journal-de-daniel-simon.com/

 

Quelques pages : http://www.couleurlivres.be/images/autobio-qqpages.pdf

 

Communiqué de presse et commande : http://www.couleurlivres.be/images/PI-autobio-bd.pdf

 

http://www.couleurlivres.be/

 

 

"Ma lecture de l'Ogre et des Fleurs en papier  : beau, c'est beau, réjouissant, émouvant et bruissant d'enfance et cela remue dans la tête et le corps. Merci Daniel, puis, pour moi lectrice "kinaka" lire et entendre ses phrases, c'était court et même si c'était juste ce qu'il fallait, quand même : encore encore ! 

Donc j'y retourne, parce que ces mots qui chantent, je peux les écouter et les réécouter sans me lasser."
 
Rolande Denis /Courriel février 2016 - (Professionnelle de l'Alpha, auteure)
 
"Autobioigraphie rêvée...Lisez, lisez, lisez, quelle musique!"
 
Christine Mordant - Courriel février 2016 - Comédienne, Lectrice Bibliothèques Hainaut, anilmatrice.

 

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