André LINARD, Des cailloux dans les chaussures, F. Deville, 2022, 410 p., 24 €, ISBN : 978-2875-99053-2
Compostelle, le Camino francés… Depuis le début du 9ème siècle chrétien, ce pèlerinage a déplacé une multitude de croyants, pèlerins pour indulgences puis pèlerins d’aventure, de rencontres, de foi et de corde… Compostelle, au-delà des Pyrénées… On marchait pour faire quelque chose d’intime et de collectif à la fois pour s’en remettre à Dieu…
En 2008, l’auteur, le journaliste, l’homme du droit journalistique et du voyage André Linard avait, avec Suzanne Dubois, fait d’une traite le trajet vers Saint-Jacques, trois mois de marche… Ce cheminement leur avait permis de rencontrer autant la magnificence du sublime que maintes interrogations à propos des dérives de ce fabuleux parcours. Leur livre, Compostelle, La mort d’un mythe [Couleur livres, 2010] avait développé nombre de critiques et d’interrogations à propos de ce pèlerinage devenu en partie une forme de loi d’exploit de tourisme de masse. L’écrivain-voyageur anglais Bruce Chatwin, dans Anatomie de l’errance, a révélé à quel point la chrétienté avait développé une piété antagoniste dans l’élévation des cathédrales versus les pèlerinages. La pierre, le temps et la fugacité. Le Chemin de Compostelle aujourd’hui est aussi encombré que l’Himalaya aux heures de pointe, on y fait la file et le business, l’idéologie New Age, le développement personnel, l’hygiénisme, la nature comme nouvelle religion etc… ont fait de cette tribulation un étrange compromis.
Dans Des cailloux dans les chaussures, André Linard a réussi un brillant retournement de toute cette matière au profit de la fiction. L’auteur se saisit de la forme si populaire du polar pour revisiter cet univers dans le flux postchrétien des quêtes spirituelles et cathartiques.
L’intrigue paraît simple mais se confronte en permanence aux non-dits, aux duplicités, des pèlerins, des habitants rencontrés tout au long des épisodes de ce Camino…
Madeleine, une Anversoise d’une cinquantaine d’années, Madeleine, qui se sent coupable d’avoir commis l’adultère, cette impure, eh oui, Madeleine, choisit, contre toute prévision de son entourage, la forme pure du pèlerinage. Elle part donc pour expier. Mais lors d’une étape (près de Tours), elle disparaît. La recherche commence et… Dans la région de son étape, un double meurtre est commis. La narratrice de ce roman est elle aussi… une randonneuse qui ne cesse d’être interrogée par la police ; trop de faits, d’indices, de suspicions, de questions existentielles se croisent par son truchement. Le fils de Madeleine, Théo, mène également son enquête, mais c’est l’inspecteur Colombeau (!) qui tirera peu à peu les fils de ce récit d’initiation et de mystère.
L’auteur sait mener l’enquête et ne cesse de nous laisser entrevoir des fragments de vérité, des ombres portées, des mutismes, des crises. Mais, bien plus, cette quête de l’inspecteur Colombeau prend aussi la forme d’un docu-fiction sur la question du pèlerinage et de ses avatars.
L’humour de l’auteur devant certaines des « vérités » du temps des innombrables écrits sur la marche en réjouira plus d’un.
Daniel Simon
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