L’Enchanteur pourrissant qu’Apollinaire dédiait à Merlin et aux légendes arthuriennes est un livre porté par le rayonnement des Merveilles et la fragile proximité de leurs extinctions. Plus d’un siècle plus tard, dans la complexité du Cybermonde, des flux d’informations, de pixels et de fantasmes sous formes d’anamorphoses, des dystopies où les hommes se noient dans l’immatérialité des corps et des émotions pensant se démultiplier et se régénérer dans les « machines molles » (W. Burroughs), Éric Brogniet a livré dans Radical Machines sa vision de l’homme et de ses sombres merveilles dans l’intersection de ses identités floutées et filandreuses. Fascinés par la Méduse cybernétique, ils sont transis et sidérés.
Ils jouent avec l’extrême – mais est-ce vraiment un jeu – qui pourra dire où conduit le frisson du désir porté à sa plus haute incandescence – le mâle offert dans son renversement absolu – qui domine qui – sur cette scène déclassée – obscène
Cette scène où l’on regarde, où l’on se voit, où le théâtre du regard est trouble, tragique, les yeux tombés à l’intérieur de soi, c’est la matière du livre du poète Brogniet. Le recueil est charpenté autour de trois ensemble de textes: L’humanité délivrée, La jeune fille et la Mort, Tournez dans le ciel noir. On peut déjà lire dans cette suite de titres un programme de décryptage de notre humanité claudicante et étrangement prête à toutes les immolations.
Il a neigé sur nos fissures / On a pris langue avec la neige / Avec le blanc du deuil et des virginités / Il a neigé sur nos absences (…)
Le poème se donne ici dans la simplicité des visions subliminales que révèlent les vers et plus tard, ce sont réflexions en proses scandées, fusées, images, lucidités, naufrages.
Entendez-vous marcher dans la nuit ces grandes caravanes / Sous les lunes couvertes et blasphémées de l’oubli ?
Allons lecteur, tend l’oreille, dresse la tête, regarde les hommes passer à travers toi souvent, une théorie de mutants par mers, déserts et hautes forêts, elle vient et nous exhorte à débrancher un temps – combien ? – ces Radical machines que le poète Brogniet démonte sous nos yeux dans un livre de secousses et de visions. Le poème, encore et encore chez l’auteur comme une machine d’expérience, triviale et magique à la fois.
Daniel Simon
Éric BROGNIET, Radical Machines, Le Taillis Pré, 2017, 100 p., 14 €, ISBN : 978-2-87450-121-0
https://le-carnet-et-les-instants.net/2017/10/05/brogniet-radical-machines/#more-18475