(Suite texte précédent)
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Laissez ici votre valise, votre sac, laissez vos arguments d’aventures, vos désirs, vos illusions d’humanité réconciliée, laissez ces phrases toutes faites aux généreux immobiles, plantés dans le décor de l’immuable, laissez au pied de votre maison ce qui vous appelle, laissez le plus, et le moins encore sera de trop…
Laissez ce qui vous lasse et lâchez ce qui vous blesse, laissez les steppes d’amertume et les embruns mélancoliques, laissez ces fardeaux qui ne trompent que l’ennui d’être ici, laissez votre ombre lentement gagner les saisons du passé, laissez…et partez.
Cela devait arriver, tout était fait pour que ça arrive, un jour la trajectoire se plie, s’incurve, retombe et vous êtes ramené contre vous-même, la courbe se dessine, vous ne savez pas encore où vous en êtes, mais vous savez que la ligne droite n’a jamais existé, que c’était une des plus féroces histoires qu’on vous aie racontées, cruelle et terrible menterie, comme un conte tourné vers une fin impossible et qui prétend éclaircir ce qui va être votre route. Une forme tournée, une vie qui a été jouée déjà et que l’on retrouve parfois pour mieux la chahuter, la mettre dans le désordre des fausses découvertes, mais c’est là, on sait où on en reste, on sait ce qu’il en est et ça devient plus simple, le courbe se referme et là-dedans des vies sont enfermées, vécues, ratées, rêvées, ajournées, celles encore à votre main, tout est là et on pousse alors la forme devant soi, c’est léger, de plus en plus léger, ça roule tout seul parfois, parfois aussi ça dévale et on se court après mais la boule est toujours là, de plus en plus compacte et légère à la fois, une boule transparente et pleine de fantômes, un cercle des fantômes disparus qui ne laissent que leurs traces, des mots, des rires, des plaintes, des rubans de cheveux, des odeurs de hanches et de cuisses, des parfums écrasés par le vent qui filtre toute trace et l’emporte dans la matière au loin, tourner en rond, un jour et saisir l’esquive, le champ libre d’un accident, d’un dernier amour, d’un coup sur la nuque que le temps vous assène et vous vous relevez, vacillant avant le KO et vous poussez la forme dans laquelle vous êtes autant que dans la force que vous mettez à la faire rouler jusqu’à l’endroit final.
Ce qui bouge encore peut-être ce sont les arbres intérieurs, les champs hachés de pluie, le soleil sur ses hanches, le jour qui s’étire jusqu’aux terrasses, des choses vite perdues , si vives et déjà disparues.
Ca veut dire à peu près ceci quand le vent souffle dehors et la rouille se fait dedans, ça veut dire comme un repas qui traîne sur la table et qu’on regarde ailleurs, les choses qu’on doit faire et qui attendent en bas si près des pieds qui ne bougent plus et pourtant on voit bien tout ce qu’il reste à déplier, le linge, la vie, le lit des amis qui arrivent, et on reste là dans ce bruit des poumons dans une oreille et l’autre écoute le vent mais rien ne vient, les fenêtres sont soudées par la nuit glacée et les choses restent là, sur le sol à attendre que nous les empoignions mais les mains sont encore dans la rêverie d’une mélancolie qui ne renonce jamais à écraser le cœur dans une poigne d’orties qui nous pique et réveille, c’est reparti un temps, on va tenir encore jusqu’à l’aube et les bizarres chansons qui s’étouffent au parloir des vivants.
Nous marchons déjà sans regard vers le ciel.
Et puis d’un coup, les poux, la vermine, les teignes, les punaises, le crissement des chitines, la tuberculose, la perstilence des charniers, d’un coup, ce qui allait vivre et peut-être grandir, a été arraché, ce qui allait livrer son suc a délivré son poison, les maisons n’abritent plus personnes, les granges sont brûlées, les champs ne se couvrent plus de joie, les rivières sont taries pour la soif d'un seul, un autre voulait la récolte du voisin, a gardé le blé et accablé le voisin au Commissaire et le voisin devenu enfin et suffisamment rouge, le corps dispersé à la hache