"Richesse et vitesse, c'est cela que le monde admire et à quoi chacun aspire. Chemins de fer, postes rapides, bateaux à vapeur et toutes facilités possibles de la communication, c'est à cela que tend le monde civilisé, pour se sur-civiliser et ainsi persiter dans la médiocrité....En fait, c'est le siècle des cerveaux capables, des hommes pratiques qui comprennent vite et qui, doués d'une certaine agilité, sentent toute leur supériorité sur la masse, même si leurs dons ne s'élèvent pas jusqu'au niveau suprème. Tenons-nous-en autant que possible à l'état d'esprit dans lequel nous sommes formés; avec quelques uns peut-être, nous serons les premiers d'une époque qui ne reviendra pas de si tôt."
Goethe, 76 ans, 1828. (Lettre à Zelter)
Cité par Walter Benjamin dans sa préface à "Allemands, Une série de lettres, Bibliothèque allemande, POL Littérature, 1979. Trad. A-G Goldschmidt.
Plus d'un siècle, plus tard, Robert Musil et "L'homme sans qualités", Kafka, Benjamin...
Aucune époque ne revient, aucune époque ne se répète, aucune époque ne repasse les plats, aucune époque n'est "l'époque", mais "une époque", comme une génération tragique, perdue, ou emportée par le siècle. L'époque est dans le flux des hommes, dans le flux des hommes sidérés par une époque d'origine, rêvée, épuisée. Les conditions du crime changent, s'affinent, se partagent, se convoitent, s'émancipent. L'époque répète mais ne se répète pas.
On ne cesse d'entendre aujourd'hui que l'époque, notre époque, barbare, comme il se doit, est si proche, la copie conforme, de celle des années Trente! Une crise, des flux d'étrangers, des polémistes populistes, des libraires qui cèdent, des Comités de Défense de la Révolution (CDR) qui s'agitent, des consciences qui s'émeuvent et les soldes vont bon train...Ce serait évidemment plus complexe de "conscientiser" en exposant la situation dans sa complexité, dans ses triviales réalités à l'inverse de la Pensée Eunuque, donc de rappeler que la violence permanente révolutionnaire, contre-révolutionnaire, étatique, populaire sévissait partout en Allemagne, que cette Allemagne héritait de la désagrégation de l'Empire austro-hongrois, de la défaite de 14-18, des "soviets" révolutionnaires, que...
De diverse façons, notre époque, connaît d'autres désagrégations: le sentiment de la dissolution de ses valeurs, l'incapacité de transmettre, la pulvérisation des schémas anciens, la perception du temps émiettée, les classes sociales diluées dans les tributs de consommation et de comportements, les sexes à l'aboi des genres, le langage en plomb fondu, la dématérialisation des choses, la complexité des flux,...
Notre époque est aussi marquée, dans la vie quotidienne, par des positions primaires et sans grands débats conflictuels, dans l'urgence, où le "vivre-ensemble" fait office de censure: l'amende remplace le savoir-vivre (avec soi et les autres dans la proximité), l'éducation (vous savez ce truc qui est si mal coté, "ca se fait ou ca se fait pas..." et non pas "J'fais c'que j'veux"), la civileté (confondue avec la citoyenneté), les interdits en expansion alors les tabous semblent se dissoudre.
La peine, la punition ont oublié la sanction, le rappel de la règle. Pour sanctionner, il s'agit d'avoir des raisons de le faire, donc connaître et reconnaître la règle. C'est si difficile, nous le savons. J'ai vu des écoles foutues par terre car incapables de pratiquer ce distinguo. Les enseignants avaient un sens aigu de leur "mission", j'en suis certain, et dans le même temps, une perception (j'insiste sur la dimension émotionnelle et de croyance) totalement fantaisiste de l'appareil démocratique qu'ils prenaient pour une "machine à bonheur sans frustations".
Dans la vitesse et la richesse, donc, sans arrêt, jusqu'à la dissolution des frontières les plus élémentaires. Cela s'appelle la barbarie.
https://www.google.be/search?q=allemands+walter+benjamin&espv=2&biw=1463&bih=706&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ei=h_emVLGjF4n9Uu68gcAL&ved=0CAYQ_AUoAQ#facrc=_&imgdii=_&imgrc=ClQY7FzxGCZXbM%253A%3Bj_iNJr7xtbkIlM%3Bhttp%253A%252F%252Fwww.larevuedesressources.org%252FIMG%252Frubon143.jpg%3Bhttp%253A%252F%252Fwww.larevuedesressources.org%252F-walter-benjamin%252C143-.html%3B570%3B869