Dis-le, écris ce que nous faisions à ce moment-là, elle remonte ses cheveux en chignon et se penche vers moi.
Nous faisions l'amour et ces tours qui tombaient, s'effondraient, s'enflammaient et sombraient dans des chapes de poussières qui tuent encore aujourd'hui, dis-le que nous baisions comme ces allumés, c'était notre première nuit, tu étais doux et dur, tes caresses me tenaient fermement dans ta ligne de mire, on savait que ça allait finir entre nous aussi vite que ça avait commencé, et on mettait tout le jus nécessaire aux enterrements de première classe. Toi en train de me boire, tu relèves la tête vers l'écran, tu vois la tour Une touchée et frissonnant tu reviens à moi.
C'étaient mes lèvres ou l'Histoire, tu préferais mes lèvres, mon sourire vertical en direct sans reply possible, dans la luminosité bleutée de l'écran au-dessus de la bibliothèque, tu léchais chaque grain de poussière qui inondait l'écran, moi, je me vivais comme une fontaine de secours offerte aux pompiers débordés dans le désatre, la mort en parcelles éclatées. Je riais, je riais et jouissais, par secousses je chassais le rire dans des orgasmes tendus.
Il fait chaud, un été indien, on les voit à NY en chemises, en shorts courir dans le sens inverse des coulées de poussières qui s'engouffrent dans les rues, on leur crie d'aller se mettre à l'abri mais ils courent et disparaissent dans des tourbillons de malheur. Et on se colle devant l'écran, nos mains moites laissent leurs traces et troublent les images. Tout devient flou, des fluides, des huiles, des lubrifiants recouvrent tout.
On était nus, couverts d'huile et de confitures exotiques que tu aimais manger le matin au retour de tes nuits de travail. Je te léchais et tu me suçais en goutant la mangue, l'abricot ou la myrtille.
On arrivait rarement à nos cinq fruits par jour.
Après, des années plus tard, tu m'as lu "L'homme qui tombe" de Don De Lillo, ces shrapnels de chair et d'os acérés enfoncés dans la chair des survivants, la suffocation, les poumons qui explosent, les corps qui se brisent en tombant et nous nous voyions en ce moment précis où la mort sidérait le monde, nous faisions l'amour une dernière fois, comme on balaye la neige devant sa porte pour ne pas tomber, pour tenter de garder l'ordre au milieu du foutoir joyeux de la première neige.
Nous ne savions pas que nous ne ferions plus jamais l'amour comme avant. La musique du monde nous était connue, on ne la trouvait pas belle mais elle s'insinuait partout comme une muzak d'ascenseur. D'un coup, silence. On a suspendu notre pas, l'écho lointain d'un éboulement ancien nous est arrivé mêlé de discours, de déclarations de guerres, d'explosions, de chasse-à-l'homme et d'exécration.
On a repris nos tendres et rudes conversations de peaux, de caresses et de griffures, on a repris le lourd et lent mouvement du monde mais du temps avait passé et des ruines en nous s'étaient accumulées, que même nos frissons et tremblements ne feraient pas céder.
Le photographe allemand Paul Schneggenburger s’est intéressé au sommeil des amoureux à travers son projet "The Sleep of the Beloved" (le sommeil des amoureux). Les pauses ont été réalisées, comme le rapporte Ufunk.net, entre minuit et six heures du matin. Les couples dormaient dans des draps noirs afin de mieux capter leurs mouvements dans l’obscurité.