Si, je vous disais le fond de ma pensée, il y aurait de moins en moins de mots entre nous pour essayer d'y voir plus clair, un vocabulaire rétréci à la mesure de l'homme, une poche presque vide, des miettes, quoi.
Si je vous disais ce que j'entends dans les phrases du jour, beaucoup de nuit, de stupeur et d'effroi, des corps glacés affalés dans les gares, des femmes ravagées de fatigue et de coups, des hommes, jeunes et vieux accrochés à leur chien, la morve recouvre chaque visage comme un glacis de honte, nous allons.
Si je vous disais le peu d'amour reçu, le peu de grâce offerte alors que nous avons les bras encombrés de semailles, le temps dispersé à embrasser des ombres, la joie venue soudain de n'attendre plus rien de ce qui semble et tremble, de ces mirages anciens, de ces désirs inquiets.
Si je vous disais ici le bonheur, le chagrin renvoyés dos à dos et nous, tombés de haut et toujours sur l'échelle, écrire un peu sur cette chute, la reprendre, monter sur l'escabelle encore, écrire "Si je vous disais" et accueillir le jour.