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Souad souhaite lire un texte, comme ça, tout à trac…, la belle marocaine aux cheveux en crinière raconte, dans un souffle, en lissant chaque phrase de ses mains fines et brunes.

« L’autre jour, j’étais seule dans un petit resto, il y avait des couples tout autour et tout autour prenait trop de place… J’avais pas faim, j’avais rien mangé, ça m’avait coupé l’appétit de voir toutes ces bouches qui mangeaient avant de s’embrasser ou qui s’embrassaient entre les plats, toutes grasses, dégoulinantes du plaisir des plats et des baisers, j’en avais marre de ces baisers sucrés, j’appelle le garçon.

          - Vous n’auriez pas un doggy-bag ? J’aimerais emporter les restes…  

          - Vous avez un chien ? qu’il me dit d’un air soupçonneux.

           - C’est pour ma chienne de vie.

Ils rient. Elle mesure sa force à la rapidité avec laquelle ils viennent de rire de cette histoire un peu facile, elle vient déjà de comprendre qu’ils connaissent le resto dont elle parle, qu’ils en sont les habitués, qu’ils n’avaient pas le choix, ils doivent rire, tout le monde connaît ce petit resto de la solitude. Ce sont ceux qui ne riront pas dont il faudra se méfier, à la prochaine occasion…

- Il a rien dit et il a rempli la boîte. Je suis sortie en laissant les rires et les baisers en sauce derrière moi. Quand j’étais petite, je rêvais de venir ici en Belgique, ou en France, mais je préférais la Belgique, je savais que nous étions nombreux ici, c’était un petit pays mais avec un nom qui sonnait fort, trois syllabes, et puis, il y avait « belle », c’est devenu « Bellevie », je crois, c’était beau ce mot en « belle »… 

Silence. Du plomb qui se transforme en plumes. Rires, papotages, confusions.

Amel se met à lire elle à la suite...

- Rien n’est arrivé à la soumettre, rien, même pas mon père. Il a fallu qu’il y ait un peu trop d’années en elle pour qu’elle commence à s’inquiéter d’elle-même. Pas pour elle, pour nous. Elle avait peur de pas être là quand on en aurait besoin. Elle parlait d’elle comme d’une machine. Une machine de chair et de tendresse.

Quand on disait le mot « amour » devant elle, elle était un peu mal à l’aise. Elle nous aimait. Elle disait « je vous aime mes enfants, oui, je vous aime » mais il ne fallait pas prononcer le mot « amour » devant elle… Alors, nous, on disait un mot pour un autre… « Confiture » quand ça voulait dire qu’on l’aimait mais qu’elle était collante… Tu me … « confitures »… Voilà. Ou encore « hirondelle » quand on se sentait un peu triste, qu’on avait envie de câlin et que le ciel était bas… Je t’» hirondelle »… et on se sentait mieux. Il y avait aussi « clémentine », « jasmin » et même « Dallas »!

Ca c’était quand on était fâchés… Je te « Dallas »… Et ça allait mieux. On lui disait qu’on l’aimait mais que c’était du cinéma… qu’elle nous emmerdait à ce moment !

Avec elle, l’important c’était qu’on lui dise qu’on l’aimait, alors, elle était contente mais il ne fallait surtout pas utiliser le mot « amour »… Elle savait que c’est un mot dangereux, une grenade qui rime avec « toujours » et elle en avait peur…

Alors, nous on vivait au pays de Dallas, des hirondelles, des clémentines, du jasmin et de la confiture…

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