Pierre HOFFELINCK, K-Gool®, Murmure des soirs, 255 p., 20 € / ePub : 12,99 €, ISBN : 978-2-930657-87-5
Que de « cagoules » dans l’Histoire : celle du bourreau, celle de l’Extrême-droite française des années 30 (« La Cagoule »), celle du terroriste ou du cambrioleur, mais jamais encore nous n’avions rencontré K-Gool®…Ce petit ® signifierait-il que l’auteur, qui a réservé le droit de ce nom, a fait un pari sur l’avenir de l’anticipation, de la pertinence et de la fonction de cet étrange objet dans un autre récit ?
K-Gool®… est cet accessoire de « bonheur » que les terriens de son roman portent avec obligation et jouissance. Mais revenons au début : une colonie de terriens sur Mars n’a plus de nouvelles depuis de nombreux mois de la terre, la terre ne répond plus, c’est le temps du Grand Silence.
Malgré la crainte et les réticences de la plupart des colons, un homme, qui fait ici parfaite figure de héros de la dernière chance, Samuel Rhodes, Sam, décide de faire le long voyage qui durera six mois pour rejoindre la Terre. Une pandémie, une extinction nucléaire, un cataclysme sont peut-être la raison tragique de ce lancinant silence… Jusque-là, rien de nouveau sous le soleil littéraire ni cinématographique.
Le voyage est long, très long, six mois de solitude ; Sam Rhodes tente de s’entraîner physiquement mais il pense surtout à ce qu’ils étaient en train de construire sur Mars, à cette façon de prolonger l’humanité en l’externalisant…
L’atterrissage a enfin lieu…
Mais ce qui frappe avant tout Sam Rhodes, c’est que tous, sans exception, et malgré le soleil radieux, avaient la tête enveloppée dans une pièce de tissu, comme les cambrioleurs des films policiers de son enfance, les traits dissimulés sous un bas nylon pour commettre leurs méfaits. C’étaient des masques intégraux qui, à l’exclusion d’une large ouverture pour la bouche et de deux petits trous pour le nez, recouvraient entièrement le visage, même les yeux.
(…)
On pouvait même voir des enfants corpulents, des gorets gras prêts pour la broche, jouer à la balle en portant leur masque. Ou plutôt, ils faisaient semblant car, si le capitaine Rhodes reconnaissait bien les mouvements caractéristiques de ce genre d’exercice, il ne voyait aucune balle.
Julia, une jeune femme, tente de résister à sa façon à toutes ces tentations totalitaires réclamées par une population connectée au vide collectif. Julia se bat pour sauver l’idée même de beauté et de tout ce qui fait le prix de l’humanité : l’art, la conscience, le langage subtil… Entre Sam Rhodes et Julia, une histoire d’amour fondamental va naître, comme un Adam et Eve dans l’enfer virtuel. C’est l’homme et la femme dans le Wonderful world du cauchemar climatisé que nombre d’écrivains ont entrevu lors des siècles précédents, en ont aperçu et décrit les avatars avec une concrétude et une précision… qui empêche toujours les aveugles de voir.
Julia, dans une confrontation avec Sam Rhodes sur le non-sens de cette déliquescence programmée, évoque tous les tenants et aboutissants de ce qu’elle connaît de l’Humanité, du langage, du Vide, du Réseau… « L’originalité de notre temps, c’est que les mots appartiennent tous au Réseau, ce qui ouvre évidemment des perspectives. Cela permet… d’unifier le discours, dirais-je, le K-Gool®, finalement, ne change pas grand-chose. Il permet juste d’aller plus vite. »
Pierre Hoffelinck a déjà publié plusieurs romans aux éditions Murmure des soirs et a montré son goût et sa dextérité narrative pour nous emmener dans des récits de l’ombre, du secret, du magique grâce à une langue tantôt baroque, tantôt fluide.
Dans un univers éclairé par un lointain Jules Verne, un Philip K. Dick plus proche ou le français René Barjavel, Pierre Hoffelinck place les lectrices et les lecteurs dans un environnement littéraire marqué par l’anticipation, mais aussi ce qu’on pourrait appeler, depuis l’orwellien 1984 (alors marqué par le stalinisme) une littérature de la disparition linguistique, de la terreur langagière et de tout ce qui fait l’homme : le sens critique, le langage, sa capacité à nourrir des relations sociales conscientes et à ressentir des émotions dans des situations infinies.
Car il s’agit de tout cela dans K-Gool® et l’auteur sait mener avec talent ce grand récit d’aventure et de méditation sur la disparition du langage individuel passé sous les fourches caudines de la virtualité consumériste et de la pensée sommaire et réactionnelle : la première porte de l’Enfer.
Daniel Simon
https://le-carnet-et-les-instants.net/2022/06/30/hoffelinck-k-gool/#more-50058