Éric NEIRYNCK, J’ai un projet : devenir fou, Lamiroy, 2020, 123 p., 12 €, ISBN : 978-2-87595-260-8
J’ai un projet : devenir fou, le dernier livre d’Éric Neirynck, fait référence à une citation de Fiodor Dostoïevski, reprise par Bukowski et claquant comme la bannière de tant d’écrivains ou artistes rongés par une fièvre d’inadaptation sociale vertigineuse…Ces rares auteurs célébrés par le narrateur de ce court roman aux allures de provocation ressemblent plutôt au parfait portrait d’un auteur empêtré dans des illusions de littérature et d’édition qui ont toujours été le véhicule des rêves avortés.
En ce sens, c’est le portait réussi et vif d’une débâcle normalisée : du sexe masturbatoire et des imprécations devant la forteresse de la bourgeoisie éditoriale (française en particulier). Éric Neyrinck est poètes, romancier, vit à Bruxelles et pratique une sorte de gouaille littéraire dans le tempo du temps 2.0.
L’auteur, à travers le journal de son écrivain raté, s’amuse, bondit, virevolte, fulmine et nous pique tant son récit est lumineux : un homme « n’y arrive pas » et sa posture d’écrivain maudit nous touche tant ce paresseux de la colère misogyne et de l’invective plumitive se débat dans des arènes sans taureaux. Ce sont souvent des enragés sans enjeux si ce n’est leur crédulité et le vide les creuse jusqu’à cette figure de l’homme ridicule qui s’agite sans œuvres et dans la rumination de la frustration.
Michel Leiris, dans L’âge d’homme, justement, et dans sa préface sur la littérature et la tauromachie, en appelle à des prises de risque (l’expression est fatiguée par trop d’abus) où l’écrivain, s’il ne se confronte au plus aigu et acéré morceau de soi, ne joue pas vraiment dans le cirque de la mort et de la vie. La littérature a toujours tracé des lignes de démarcation que l’on reconnaît vite au cours de notre métier de lecteur… Neyrinck nous emmène sur ce terrain miné des illusions déceptives (le personnage souffre d’une dépression) et convoque tant et tant d’échos, de fantômes errants dans la rage d’exister au cœur de cette étrange machine existentielle que l’on nomme encore littérature.
L’auteur en personnage de ce roman d’amour aux spectres de la littérature trash (Bukowski, Safranko, Dan Fante et bien sûr, Dostoïevski) écrit l’une ou l’autre nouvelle, il en attend la publication, le contrat d’édition, toutes ces mots sésames d’un monde qui ne livre ses clés que chichement. Vivre de sa plume est souvent la déclaration des naïfs, crédules et ignorants de tout ce qui touche à l’édition littéraire.
Mais les rêves de grandeur sont tenaces et propres à cette époque féroce du « tout-écrivant ». L’auteur en désespérance s’acharne entre scènes de sexe triste et usure dans l’attente de ces fameux signes de la reconnaissance des pairs… Il ira jusqu’à pondre et envoyer aux grandes maisons un manuscrit de roman, Tu prendras bien un verre avec moi avant de baiser. Mais rien, toujours rien, …
La folie effectivement creuse son trou sans pardon dans ce personnage pitoyable jusqu’au moment où, illuminé, éperdu, flottant dans des réalités troubles, il écrit à la compagne de Bukowski défunt, lui dit son admiration, croit commander le livre qu’elle écrivit à propos d’Amour et haine de son cher Buk… Il s’agit de Linda Lee Bukowski…
D’où nous vient la consolation, l’abandon de toute détestation ? Quel est ce miracle que nos gestes allument à chaque instant dans le dédale de nos vies ? C’est aussi à cette réflexion que le livre d’Éric Neyrinck nous convie.
Daniel Simon