Daniel SIMON, Au prochain arrêt je descends, Carnets du Dessert de Lune, 2019, 96 p., 14€, ISBN : 978-2-930607-51-1
Daniel Simon a de nouveau frappé. Le directeur des Éditions Traverse et l’auteur de nombreux livres de poésie, de théâtre et d’essais livre ici son nouvel opus poétique, Au prochain arrêt je descends, aux Éditions Les Carnets du Dessert de Lune.
L’illustration de couverture de Pierre Duys et l’exergue de Paul Celan semblent annoncer la couleur : l’intention du poète ne sera pas de livrer une poésie mièvre ou aseptisée. En effet, le ton de Daniel Simon est celui de la révolte. La quatrième de couverture, un texte de Daniel Fano, avertissait déjà : ce livre s’adresse à ceux qui portent ce « refus de servir ceux qui veulent effacer la part d’humanité qui habite encore en nous ».
Alternant prose et vers, le recueil s’ouvre sur une partie intitulée « Chuchotements » et se clôt sur des « Bruissements », attestant de la nécessité de faire passer la lecture du recueil par le biais de la parole orale. La voix, à l’instar de « ce qu’ils [hommes et femmes] laissent] dans la nuit », semble en effet émerger dès le premier paragraphe, plein de souffle :
Des hommes, des femmes, il y en eut tant autour de la table le soir, et le matin s’enluminait de ce qu’ils laissaient dans la nuit. Ça se décomposait lentement dans le sommeil et rejoignait par fragments la mémoire endormie comme un chat sur un meuble silencieux se réveille le matin et s’ébroue des derniers brouillards de l’engourdissement.
Ce recueil se lit comme une sorte de manifeste, contre une poésie « bien-pensante », manifeste qui œuvre également pour l’amitié et la fraternité – notamment la fraternité poétique, ainsi qu’en témoignent, outre le propos, les nombreux dédicataires des poèmes parmi lesquels, pour n’en citer que quelques-uns, Éric Piette, Olivier Terwagne, Rio de Maria ou Kenän Gorgün :
Mes amis
que sont-ils
vivants disparus
Mes amis
du ponant au levant
bêtes curieuses hommes
de rudes croyances
langues d’avril en hiver
mes amis présents absents
dans une nuit de cristal
le vent se charge
de nous mettre à genoux
[…]
Nous lisons une manière de nous relier à d’autres êtres (poètes, amis ou lecteurs – que le poète interpelle explicitement) qui partagent une même vision ou une même déploration d’un monde régi notamment par la technocratie. Le thème de la mémoire apparaît comme un fil rouge du recueil, de même que celui du passage du temps et du lien à la mort :
Je voudrais écrire la liste
des sentinelles d’un temps
hors de moi du monde
ouvert à forces
à cris sans voix souvent
tête baissée sur la forme
des choses des hommes
dans le récit des livres
[…]
« Qui gagne ? / Qui perd ? », interroge Paul Celan dans l’exergue : dans le recueil de Daniel Simon, s’il n’y a ni victoire ni défaite, il est toutefois question d’un combat – contre la montre, contre le temps, contre ce qui prend l’ascendant –, combat qui reste toujours tendu vers la fraternité.
Charline Lambert
Honoré par cette lecture, merci Charline Lambert!