( extrait de "Positions pour la lecture", chapitre des larmes)
Il m'avait dit...
C'est sur ce livre que j’ai pleuré à chaque fois que je l'ouvrais, la même page troublait, je me plongeais un long moment au-dessus des phrases, ma respiration suspendue, je ne voulais pas céder, je ne savais pas encore ce qui me ferait pleurer mais je ne voulais pas céder, je me tenais ainsi longtemps immobile, puis me mettais à nouveau à tourner les pages sans attention, je parcourais distraitement les paragraphes et dans ce laps, je me disais confusément que je devais revenir à l'endroit fatigué, essayer de reconnaître le détail, le pourquoi, je reprenais ma respiration et remontais jusqu'à la page souillée, je restais alors un bref moment interdit, en apnée, je réalisais le chemin à parcourir, ces phrases aux mots déjà flous qui allaient à nouveau flotter devant mes yeux, ça gonflait en moi, je retenais ma respiration, non je n'allais pas m'abandonner et puis une larme perlait, s'accrochait au bord des cils et je continuais à remonter le fil des pages jusqu’à l’endroit du vieux papier tout gonflé, grisâtre, jusqu'à mon rendez-vous mystérieux.
J'ai gardé ce livre encombrant et pose souvent ma main sur sa couverture jaunie, je ferme les yeux, je respire mieux.