Pourquoi il lisait, c'était de plus en plus flou.
Chaque texte crépitait encore, souvent plus intensément que dans ses lumineuses années de lecteur d'enfance et de jeunesse, mais ces jours et ces nuits infinis de pure dévoration du monde faisaient place aujourd'hui à une épuisante germination.
De ses lectures surgissaient, dans l'ombre et l"écho profond de la manducation de nouveaux livres un désir immédiat, en écrire un autre, et un autre encore, jusqu'à ce que ses nuits s'encombrassent de personnages, de situations et de phrases qui le laissaient épuisé le matin, tant écrire dans ses errances nocturnes l'agrippait au sommeil plus qu'il ne l'y plongeait.
Il avait depuis longtemps choisi la position couchée lors de ses activités de lecture, de même pour écrire, c'était dans ce mol repli que tout s'ouvrait, les idées se bousculaient, vite remplacées par des phrases qu'il articulait, à la ponctuation précise, qu'il visualisait parfaitement sur cet écran des rêves relativement contrôlés, scandés par les émotions végétatives des corps abandonnés.
Il avait écrit en blanc, et il fallait tout mettre au noir sur la feuille, dans la journée, conduite par le repêchage de ses inventions fugitives.
La lecture-écriture ainsi nommée le détournait des grands combats du jour, qui devenaient si petits et médiocres. Il glissait sur le temps qui lui appartenait encore de niches en niches, de refuges en refuges et il comprit que la durée lui manquerait, tant la glisse s'accélérait et le précipice n'était plus si loin.
(illustration tirée de Nuit blanche par Jean Gosset)