Dans l'adolescence, il avait lu plus que vécu, du moins c'est ce qu'il crut longtemps. Peu à peu, les idées disparurent de ses préoccupations, des idées, il y en avait tant et tant, si facilement énoncées et reniées aussitôt, des idées, ça ne prenait pas de place dans la vie réelle des êtres, ça les occupait sans plus, pour avoir des raisons de vivre ou de mourir sans joie, ça les minait, ça les distrayait. Les idées étaient le niveau le plus bas de l'homme, pensa-t-t'il, elles justifiaient sans danger l'immonde et le précaire.
Les livres échappaient à cette profusion d'idées, à cette effroyable irresponsabilité des hommes à idées, et il faisait une nette distinction entre expérience, pensée et idée, comme on sait reconnaître sans hésitation, enfant, ce qui nous élève ou nous détruit.
Quand il disait "livre", c'était par pudeur, les livres ne l'intéressaient pas véritablement, il les achetaient, les donnaient, les prêtaient sans jamais les revoir, ça n'avait pas d'importance, c'était la littérature qu'il invoquait sous le terme vague de "livre", presque par honte de nommer ce qui n'existait pas, ou plus, aux yeux de la plupart.
Cette littérature n'avait rien à voir avec le "style", cette viennoiserie bourgeoise, cette vanité d'impuissant, mais avec la trace d'une infime vérité que l'écriture tentait de révéler. Bien sûr ça passait par une langue, une sorte de cornue personnelle mais ce n'était pas le style, si aisé à comprendre et à singer d'une époque à l'autre qui importait, c'était une voix. Et une voix, ça n'avait pas de style mais une vérité, une gaucherie, une monstruosité, un souffle, une gorge, un ventre, de la peur.
(...) à suivre...