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Dire, c'est faire et non penser (Notes d'atelier)

Nous sommes aujourd'hui au coeur de la séparation entre l'écriture et la littérature. De vieux réflexes nous font encore confondre les deux territoires mais il faut sans cesse se rappeler qu'écrire pour  la plupart des "écrivants" (que j'appelle des "auteurs") suppose de déposer des ressentis, de se réapproprier des clichés, de les développer, de s'essayer à la création qui accepte tout et son contraire dès lors qu'on s'attache à écouter sa propre voix, de tenter de résister à la disparition définitive de ce que l'on appelle le passé,...

Chaque atelier d'écriture m'oblige à tenter de reformuler sans cesse plus clairement les énoncés qui naissent des lectures et commentaires des textes des participantes et participants.

Ce fut ce samedi particulièrement autour de la question de la morale, du point de vue de l'auteur, du narrateur, des personnages qu'on s'est interrogés.

Chaque auteur développe une morale, un point de vue moral, une vision de l'histoire que son texte va énoncer par le style, et ce que Barthes appelle le "texte", c'est-à-dire un tissu de signes, de repères, les mille et une façons de déposer du sens dans de la forme et de dire en sous-texte la figure morale de l'auteur qui se dévoile souvent à son insu..

Un écrivain tentera de diminuer la part "d'insu" par le travail dans l'avancée de la langue et peut-être que l'inouï se fait entendre alors brièvement.

"Chaque fois que" est le contraire de "lorsque" et le lecteur capte tout ce qui se trame dans cette suite de choix.

Si l'auteur n'y prend garde, ça babille, comme dit Barthes, ça régresse, ça écrit sans forme, juste des émotions, de la moelle épinière, du ressenti.

Il ne s'agit pas de dénoncer quelque sentiment ou émotion qui soient mais de souligner avec force en ce temps d'abondance informelle et tristement répétitive, la nécessité impérieuse du travail et de la ré-écriture de chaque texte.

Quand un auteur s'empare du "sens moral "du texte et le formule volontairement au lecteur, il le prive tout simplement de ce choix qui est de faire d'un salaud un saint ou inversement.

"Dire",  ici en l'occurence "écrire", c'est faire, et non pas penser. Faire de la langue qui pense dans cet acte de fabrication-même. Ecrire dans le champ de la littérature, c'est malaxer de la matière, le langage et en faire sa langue, c'est malaxer des "restes" séculaires et en refaire de la matière neuve.

Les pensées de l'auteur instillées dans le babil du narrateur sont souvent insupportablement plates et sans aucune valeur nouvelle. Par contre, ces pensées affleurent sans cesse dans les tissus du texte.``

C'est la hauteur de la caméra qui fait la différence, rappelait le cinéaste Jean-Luc Godard.

Le fameux plaisir de la lecture se joue à divers niveaux, mais certainement dans cette liberté de se construire "sa morale à soi" du récit dans le "déduit du texte"(1).

 

1. Je sais, je sais, ce "déduit" est désuet mais signifiait autant le plaisir, le divertissement que le coït...

 

Roland Barthes, Le plaisir du texte: 

http://www.voixauchapitre.com/archives/2015/roland_barthes_plaisir_du_texte22.pdf

 

et  La philosophie morale de la littérature:

http://www.fabula.org/acta/document8984.php

 

Tag(s) : #Articles
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