Certains poètes nous acclament, nous fêtent dès notre entrée en lecture: ils nous attendaient, ils avaient besoin de nous en somme.
D'autres sont plus patients, ils sont dans la lumière oblique du monde où nous allons seuls, toujours, en exil de nous et des choses. Elles sont à proximité, les choses, toujours proches mais jamais atteignables.
Jean-Marie Corbusier, que j'ai découvert récemment à la lecture de deux livres tendus et sensibles, m'apparaît comme un subtil poète de l'apesanteur.
Dans "La Lampe d'Hiver" (avec un frontispice de Domonique Neuforge), une des sections du livre, nommée L'oubli, en dit long sur l'état des choses et la désunion des hommes et du monde.
L'oubli
dernière trace
de la mémoire
nous renaissons
à d'autres oublis
ou
L'oubli
s'amasse
autour de l'oubli
comme un reste du jour
adossé au vent
L'univers flotte, vogue, vague, s'éloigne, ralentit sa course, nous illusionne pour nous abandonner, peu après, dans la blancheur de la sidération. Les hommes vont dans l'allusion et le simulacre, jamais ils ne sont entendus (sont-ils encore audibles?), à peine entraperçus.
Il nous faudra revenir
Tirer à nous l'avenir de sa pesanteur glauque
(p.91)
Et dans ce texte de quatrième de couverture de ce beau livre, le poète ne nous abandonne pas, il nous exhorte à tenter, encore et encore, l'usage des mots, de la langue, de l'articulation...
Tant et sans voix
parle
parle encore
parle à vide
parle même contre
il y a encore de l'inouï
au fond des mots
dans le froid à venir.
Jean-Marie Corbusier, La lampe d’hiver, poèmes, frontispice de Dominique Neuforge, Le Taillis Pré, 2015, 130 pp, 12 €.
Verticalité du poème
Dans le poème, la verticalité m'éveille, elle fouette la mollesse du temps et pour me consoler, l'horizontalité déploie sa communion.
Chez Jean-Marie Corbusier, la verticalité règne, celle tension de la note, cette résonance de la pause, cette vrille du silence sont sa matière de base. Dans la parenté de Roberto Juarroz (1) qui mis toute son oeuvre sous le signe du vertical ( "la dernière tâche: entre les mains vides, élever une tour de rien au bord de l'abîme "), Jean-Marie Corbusier tend le poème vers des points de respiration où l'homme va seul, dans l'espérance, hors de lui, relié à l'espace et au temps dans de fugaces visions.
Les poèmes rassemblés dans son livre "Dans le jour soulevé" sont de la matière volatile et dense. La volatilité tient de cet arrachement à l'illusion de la permanence et la densité est magnifiée par l'infinie répétition du saisissement de notre présence au monde...
L'acte signe en blanc
me laisse à ma présence
parole dans sa matière
ici
comme au-delà
le noeud de la soif
je le dénoue
un mot exténué raconte
sur le tranchant du froid
L'auteur noue ici, par reprises successives dans chaque poème, nos épiphanies en dénouant le sentiment d'infini. Le poème rassemble les éclats d'un récit dispersé en chaque homme où traine encore de la parole...
Jean-Marie Corbusier, Dans le jour soulevé, frontispice de Dominique Neuforge, Le Taillis Pré, 2013, 125 pages, 10 euros -