La nuit était tombée. Petit, je vivais à la campagne dans une maison perdue au milieu des champs, dans le noir des nuits étoilées. Je vous attendais avec une inquiète impatience. Nous vous attendions tous. Vous aviez quelque chose pour chacun. Nous n’étions pas gourmands, les années de guerre n’étaient pas loin.
Vous êtes apparu avec votre âne, votre haute crosse, vous marchiez lentement et les familles allaient jusqu’à vous. C’est alors que j’ai vu votre barbe blanche s’épanouir dans les lueurs du fanal que portait Père Fouettard à côté de vous. Vous étiez souriant. Fouettard me regardait intensément en faisant comme de bizarres grimaces. Il faisait un peu peur. Je me suis approché, vous m’avez saisi le menton pour me parler à l’oreille, vous m’avez posé deux ou trois questions qui résonnent encore. Je vous faisais tellement confiance. J’ai répondu « Oui », plusieurs fois et vous avez dit « C’est bien, continue ! »
Père Fouettard m’a donné une orange, des bonbons et mes parents ont aidé Saint-Nicolas à retirer de la hotte les cadeaux que j’espérais depuis si longtemps. Ils disaient, « Merci Saint-Nicolas, au revoir Père Fouettard » et vous vous êtes mis en marche vers une autre maison. Le ciel était particulièrement étoilé cette nuit-là. Père Fouettard me regardait par-dessus son épaule en agitant le doigt dans ma direction.
Beaucoup de temps a passé. Je vous écris aujourd’hui pour vous dire que ces moments ne m'ont jamais quitté.
Aujourd’hui, je suis triste et en colère, parce qu’on vous veut du mal. C’est Père Fouettard qui a été touché mais c’est vous, Grand Saint, qui êtes visé. Vous osez dire aux oreilles des petits enfants le bien et le mal, vous dites la punition et la récompense. Vous faites la différence. Et c’est insupportable.
Lettre à Saint-Nicolas à propos du Père Fouettard, Daniel Simon, Collection Je/Un quart, 60 pages, en librairie en décembre 2014. Editions www.couleurlivres.be