Jacques LEFÈBVRE, L’amazone du Cirio, M.E.O., 2024, 228 p., 21 € / ePub : 12,99 €, ISBN: 978-2-8070-0431-3
Le roman, dernier en date de Jacques Lefèbvre, L’amazone du Cirio, commence par une sorte d’accolade littéraire à un projet lancé dans la quiétude du célèbre café restaurant Cirio près de la Bourse de Bruxelles où nous rencontrons le narrateur, ancien professeur de français, romancier dilettante, fin connaisseur des pays de l’Europe orientale, ex pays de l’Est, et une collègue polonaise rencontrée lors d’un Congrès à Vienne et qu’il retrouve à Bruxelles.
Ils sont là, attablés devant un half en half – moitié champagne, moitié vin blanc, la boisson du cru – et partagent des confidences et des passions littéraires. Soudain une ombre traverse un rai de lumière. Cette femme capte leur attention et ils la choisissent immédiatement comme éventuelle héroïne d’un roman qu’ils écriraient à quatre mains. Lui, c’est Antoine, elle Aurelia.
Très vite le jeu s’organise. Aurelia décide de l’identité de l’héroïne, ce sera Elzbieta, enfant juive polonaise ayant échappé aux camps d’extermination où ses parents ont été engloutis.
Aucune méthode n’a été choisie pour rédiger ce roman à quatre mains. Aurelia s’étant contentée de donner un thème, Antoine pense que, durant son séjour à la campagne, il parleront de l’enfance d’Elzbieta et, in situ, commenceront à écrire. Pourtant, alors qu’il est encore en Belgique, il ne peut s’empêcher de noircir quelques pages, décrivant un certain lui-même, devenu paysage, se projetant dans l’immensité de ce que les géographes appellent la pénéplaine d’Europe centrale
Cette revisitation de l’Histoire des convulsions politiques, nationalistes de l’après-guerre donne lieu à des échanges, des illuminations, des repentirs, des illusions glacées, des ouvertures romanesques surtout.
Jacques Lefebvre connaît bien son sujet, lui qui a été président de l’Association belge des professeurs de français, période pendant laquelle il a donné des formations en Pologne, Slovaquie et République tchèque. Il connaît donc le jeu délétère des doubles discours, des masques et des images truquées. Il sait aussi qu’un roman se laisse les écrire mais que les lecteurs accompagnent souvent ces fictions comme une autre forme d’Histoire, celle des rendez-vous manqués ou des nouveaux Quichotte…
L’écriture de l’auteur scrute ces péripéties avec une lentille scrupuleuse et les deux personnages du roman partagent avec la volupté des amateurs passionnés, des moments où le lecteur est pris à partie : témoin, complice, acteur, créateur.
Dans ce roman gigogne, en trompe-l’œil, les points de vue fond contre-point jusqu’à ce que l’entièreté d’une vie, celle d’Elzbieta, se déroule dans l’Europe délabrée de l’après-guerre. Nous y reconnaissions nombre de questions et d’affrontements de notre temps, sous le couvert d’une fervente joute romanesque.
Ce quatrième roman de Jacques Lefèbvre confirme le talent de l’auteur dans ce maniement subtil des faits historiques, des dérives interprétatives et des séquelles d’un temps sur l’autre.
Daniel Simon