Annie PRÉAUX, Disparu d’un trait d’encre, M.E.O, 2022, 188 p., 17 € / ePub : 10,99 €, ISBN : 978-2-8070-0314-9
C’est à une forme de “passe-muraille” que l’autrice Annie Préaux se consacre dans son dernier roman en date, Disparu d’un trait d’encre publié aux Éditions M.E.O.
Le récit ne cesse de couper le fil, de le renouer, de le couper encore, le tout dans le Grand Jeu de la narratrice et du personnage, qui n’est pas un personnage de roman mais son locataire disparu et réapparaissant régulièrement sous la forme… d’un personnage romanesque.
C’est ce chassé-croisé qui tend le récit et offre une lecture de rebonds méditatifs sur la matière romanesque même. C’est également à une réflexion sur le deuil et la projection d’une vie dans l’autre que nous invite le livre.
L’écrivaine Aline Esse, à la suite de la disparition inquiétante de l’homme à qui elle avait loué la maison de ses parents décédés, se met à raconter et à creuser la disparition/apparition de cet étrange personnage… `
Les gens aiment assez à dire qu’on pourrait faire un roman de leur vie. Ils sont souvent prêts à vous raconter leurs histoires et d’ailleurs, certains auteurs les y encouragent. Pourquoi pas ? Mais dans ce cas, c’était différent : Alexandre Esse avait envie – besoin? – de se couler dans la peau d’Alexandre Saintclaes, celui qui n’existait au départ que dans mon imagination et qui pourtant lui apparaissait de plus en plus comme un double de lui-même. Il s’était trouvé une sorte de jumeau imaginaire qui l’entraînait en dehors de sa vie. Et à ce moment précis, il ne demandait que ça.
Et voilà Annie Préaux lancée dans une intrigue réaliste et métaphysique à propos de l’identité et ses doubles, ou plutôt, ses anamorphoses.
C’est dans la fracture que l’on reconnaît l’homme, c’est dans la brisure qu’il se dessine à son insu.
En Corée d’abord, puis au Japon, le kintsugi est une technique artistique qui consiste à réparer des poteries en porcelaine ou en céramique avec de la poussière d’or. Les traits et dessins qui apparaissent alors renforcent la beauté unique de chaque pièce. Cette tradition millénaire évoque la réconciliation, la résilience, dit-on aujourd’hui, la renaissance de la même matière mais tissée d’autres signes.
Annie Préaux a été romaniste et professeure. Elle s’intéresse autant aux arts plastiques, à la philosophie et au théâtre qu’à la littérature. La civilisation et l’art de l’Orient la passionnent, la Corée en particulier. Elle a publié des romans, des poèmes, qui, souvent, traitent de cet écart Orient-Occident.
L’autrice écrit aussi, nous rappelle, à travers certaines figures célèbres d’exploratrices et d’explorateurs, de transfuges de civilisations: “Ne faut-il pas un certain aveuglement pour vouloir se fonder, ou plutôt, se refonder ailleurs totalement en coupant les ponts avec son monde originel ? Cela ne va-t-il pas de pair avec le mythe de la perfection de l’autre culture?”
On le voit, en filigrane de ce roman en vertige contrôlé, Annie Préaux nous invite aussi à nous confronter encore à une des maladies des siècles, les identités fabriquées dans le détournement des illusions meurtrières.
Daniel Simon