Paul POURVEUR, Aurore boréale, Arbre de Diane, 2019, 12 €, ISBN : 9782930822112
Nombreux sont les textes de théâtre qui ne sont faits pour durer dans l’au-delà de la représentation. Ils ont été écrits dans ce sens et résistent souvent à la lecture. Cette question de la lecture du théâtre a été le centre de nombreux débats et entreprises éditoriales depuis ce qu’il était convenu d’appeler le retour des auteurs il y a une quarantaine d’années (citons ici Lansman qui fit de cette pratique le blason de sa maison).
Paul Pourveur a participé à ce renouveau, à cette (re)mise en place avant mise en scène de nouvelles machines à jouer en développant de nouveaux rapports de personnages confrontés aux paradoxes plus qu’à la traditionnelle contrariété des conflits. Il est surtout scénariste pour la télévision et le cinéma et a trouvé au théâtre, moins dépendant du poids financier de la production, des espaces de liberté qu’il a occupés depuis une trentaine d’années avec talent.
Depuis Oum’loungou, La minute anacoustique, Marrakech jusqu’à Aurore boréale et bien d’autres pièces, Pourveur a joyeusement désarticulé les conflits dramaturgique habituellement fondés sur le politique et ses rapports de force avec les individus. Pourveur est un moraliste, une sorte de guide invisible dans les marges des événements. Ses textes n’hésitent pas à bousculer les conflits d’évidence pour mettre en place, dans des situations souvent improbables, des questions philosophiques serties dans des dispositifs jouant de la légèreté apparente des personnages. Ses références littéraires sont nombreuses et il prend soin de citer J. G. Ballard (Crash), H. Miller qui sont des ouvreurs de mondes, des écrivains qui ont tant œuvré à la liberté de ton et de sujet de la littérature du XXe siècle…
Aurore boréale, publiée cette année, a été créée à Bruxelles en 1999 par Christine Delmotte et sa Compagne Biloxi. Ce fut un événement marqueur d’une nouvelle scène à investir des questions appartenant au domaine des sciences.
Le sujet traité par l’auteur est une pépite, une date historique, un noyau dur du XXe siècle. « En 1927 se tient à Bruxelles le cinquième Conseil International Solvay, dont le thème ‘Électrons et Photons’ porte principalement sur la mécanique quantique. La conférence joue un rôle important dans l’histoire des sciences de par la réunion d’une brochette des plus grands physiciens de leur temps, mais surtout par les échanges animés entre les représentants de l’« école de Copenhague » (Bohr, Heisenberg, Ehrenfest, etc.) et d’autres physiciens (Einstein, Schrödinger, etc.) partisans d’une physique quantique à caractère déterministe. (…) ». Ces physiciens occupés à ce moment par les théories non déterministes de la mécanique quantique sont rassemblés dans l’Hôtel Métropole, Place De Brouckère, Bruxelles.
Pourveur s’amuse manifestement dans l’entrecroisement du nonsense de certaines situations et les questions les plus affûtées du temps… Afin de nous faire partager cet univers d’équations, il réunit dans le hall du Métropole un physicien, un paléoanthropologue et le réceptionniste de l’hôtel. La pièce ouvre la boîte de Pandore des réflexions et interrogations du temps et la façade civilisationnelle du XIXe siècle est passée au karcher de l’ironie et de la pensée de l’auteur. Isabelle Stengers conclut lors de la création de la pièce : « Raconter les Conseils Solvay au public est un acte aussi évident, aussi nécessaire que raconter la Révolution française ou l’expansion coloniale de l’Europe. Il s’agit d’une page de l’histoire humaine dont, scientifiques ou non, nous sommes les héritiers. » Paul Pourveur met en jeu les implications philosophiques d’une nouvelle vision du monde.
Les conversations se croisent entre les échos des travaux menés par les savants dans les chambres, 66, 67,… et ce qui filtre jusqu’à la Réception. Tout est emmêlé, travaillé en boucles folles ; les pensées se recomposent dans des conversations burlesques où le mélange du trivial au génial fait l’effet d’une machine-à-laver la plus chère du temps : elle brasse l’improbable et le sublime.
Client de l’hôtel : Il est un fait que l’évolution bafouille un peu de temps en temps. Nous avons toujours le même nombre de dents, mais nos mâchoires sont devenus moins proéminentes. L’évolution a opté pour une bouche plus petite et plus fine, mais l’évolution a perdu de vue quelques détails : il n’y a plus assez de place pour les dents de sagesse. Ce qui est remarquable, c’est que l’homme, de son propre chef, soit capable de corriger ce bafouillage évolutionniste : La dentisterie.
Paul Pourveur n’a pas oublié que cette mise en place des coulisses d’un grand événement est un procédé théâtral d’une rare solidité. Par exemple, « Les Huissiers » de Michel Vinaver : des Huissiers ouvrent et ferment les portes de l’Assemblée nationale républicaine pendant la Guerre d’Algérie et commentent les fragments de discours filtrant entre deux passages…
Aurore boréale est pleine de cette vertu comique des grands basculements et fait naître à la lecture un vif plaisir de découverte de cette étape majeure de la science …
Daniel Simon
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