Catherine DAELE, Le chant de la baleine, Lansman, 2019, 48 p., 10 €, ISBN : 9782807102453
À l’origine comédienne (formation à l’IAD), Catherine Daele voyage aujourd’hui de la scène à l’écriture, portant un regard singulier et vif sur le monde de l’enfance et de l’adolescence. Enchantement et lucidité sont la matière de ses personnages. Plusieurs de ses pièces ont été mises en scène, lues lors d’événements et primées notamment par le jury du CED-WB. Son théâtre est publié chez Lansman.
Ethel, sept ans, lutte à travers son imaginaire d’enfant pour assumer un deuil impossible : celui de sa maman qu’elle chérissait par-dessus tout. La tombe est son refuge et son terrain de jeu pour mieux comprendre.
Victor, dix ans, découvre ce cimetière lors de l’enterrement d’un grand-oncle qu’il n’a pas connu. Pendant que les adultes s’affairent, il rejoint Ethel sur la tombe à quelques pas de la cérémonie.
Le dialogue n’est pas facile, du moins dans un premier temps. Sans le vouloir, Ethel casse les lunettes de Victor… C’est le début d’une amitié profonde qui va les faire basculer entre réalité et merveilleux. Car au loin chante une baleine qui pourrait bien être celle dont parle le carnet que Victor a reçu en héritage de ce grand-oncle inconnu… (quatrième de couverture)
Le chant de la baleine commence par une scène magnifique, un rite de théâtre (le deuil est une de ses matières premières, ainsi que le dialogue des vivants et des morts) qui rappelle une des plus belles scènes du cinéma français dans Jeux interdits (René Clément, 1952). La jeune Ethel du Chant de la baleine construit, dans une théâtralité essentielle et juste, un rite de passage qui pose les bases de la pièce : la perte de la mère. Dans le film de Clément, c’était une taupe qu’enterrait Paulette, jouée par Brigitte Fossey, alors qu’elle est entourée des morts, victimes du mitraillage d’une colonne de réfugiés pendant la Deuxième guerre mondiale.
Ici, dans la grâce de l’écriture de Catherine Daele, même registre d’émotion, même qualité de clairvoyance de l’enfance qui met en place un dispositif d’encerclement de la vie dans des moments secrets de rituel. Des lambeaux de mythe affleurent, des histoires effilochées se disent, des fusées d’amour et d’humour surgissent là où la fable se tend, dans ce cimetière, où la tombe de la mère devient le lieu secret de l’enfance.
L’écriture de Catherine Daele, dans cette dernière pièce, offre une qualité d’évocation et de dévoilement des machinations et des mystères des hommes que l’enfance parvient à traverser grâce à cette pensée magique, qui fera de ce court moment de la vie, une des périodes les plus intenses d’un être humain.
Les dialogues sont marqués du son du réel enfoui dans les vives réparties d’Ethel et Victor… Les filtres ne sont pas encore mis en place, les normes ne sont pas encore fixées et chaque réplique, chaque geste sont porteurs d’une profonde curiosité, traversés d’un étonnement philosophique, d’une joie mélancolique qui transforme l’émotion en une expérience intime et collective à la fois.
Le chant de la baleine vient de loin, il remonte des abysses, du fond de la mère nourricière et ce chant devient de plus en plus puissant dans la pièce…Il laisse entendre cette mélodie triste qui remonte si souvent en nous à notre insu, et cette vibration est aussi la clé d’ouverture de nos sentiments les plus fondateurs. La métaphore est pleine et rassurante à la fois.
La baleine est souvent présente au théâtre et étonnamment beaucoup plus qu’au cinéma. Bien sûr, on connaît ses classiques mais le ventre et le chant de la baleine sont des lieux et des signes de naissance et d’extinction que le théâtre choisit souvent comme pour y planter une caverne vivante, un endroit chaud qui enveloppe la solitude des humains
C’est une pièce pour jeune public (7 à 9 ans) et c’est tout autant et littéralement une pièce pour tous les âges. Dans le théâtre pour jeune public, la fable doit être forte (peu de dispersion « culturelle »), la langue doit se poser sur des évidences et la complexité des personnages ne peut se faire passer pour des chipotages culturels ou idéologiques. « Un théâtre à lire » proclame son éditeur Émile Lansman et c’est manifestement la formule juste ici.
Le texte fait partie de la sélection Jeunes Publics des EAT.
https://le-carnet-et-les-instants.net/2019/08/10/daele-le-chant-de-la-baleine/#more-26069
Daniel Simon