Stanislas COTTON, Le complexe de Robinson, Lansman, 2019, 63 p., 11 €, ISBN : 9782807102316
Stanislas Cotton est un marin au long cours de la littérature et de la littérature dramatique en particulier. Il a bourlingué entre de nombreuses résidences théâtrales et lieu de création en Europe et au Québec. Lauréat de plusieurs prix, il n’a cessé de mener une observation minutieuse de la société dans laquelle il développe, sur de nombreuses scènes, sa vision des paradoxes et du délitement des relations humaines et sociales.
Travaillant souvent à la commande, c’est-à-dire en réaction à des propositions d’institutions ou de troupes, l’auteur a développé une écriture du sursaut, de surgissement des consciences éphémères occidentales dans des textes qui mettent en jeu l’intime et le public confrontés dans des relations de plus en plus condamnées à celles que vivent des ennemis radicaux.
Sa dernière pièce en date, Le complexe de Robinson, met en mouvement, dans ce qu’on appelle au théâtre « une époque incertaine», des hommes et des femmes fatigués « de soi et du monde ». Elle organise une nouvelle mise en abîme des hommes perdus dans un Occident malade de repentance et à l’Histoire oxydée par la culpabilité des tragédies inlassables.
Des personnages improbables comme chacun de nous, campent les protagonistes de cette dramaturgie du désenchantement: « La Sentinelle, flic tourmenté, enquête sur la disparition de la femme du ponte de La Grosse Boîte ; Clarimont Laventure, comptable au service financier de ladite boîte, est hanté par un amour perdu ; et Irina Guérilla, jeune diplômée en lettres, cherche furieusement du travail. Clarimont rencontre Irina et, chabadabada, une étincelle rallume le désir dans ses veines tandis qu’Irina est convaincue d’avoir rencontré l’homme de sa vie.«
Un des personnages nous rappelle que nous passons par une trilogie (occidentale) de rites plus ou moins conscients : le complexe d’Œdipe, le complexe du homard, que Françoise Dolto a développé en observant le passage de l’enfance à l’adolescence qui se fait souvent, s’il n’est pas résilient des accidents de parcours, par le développement d’une carapace qui mettrait l’adolescent à l’abri du monde extérieur et enfin, le complexe de Robinson, largement répandu aujourd’hui, qui consisterait à se replier sur son île, sur son idéologie, sa nation, son identité. De façon vulgaire : un trentenaire fatigué se faisant livrer des pizzas dans son appartement où il vit connecté.
Les amours et les passions ont toujours été les portes de sortie des époques traumatiques et les sentiments déclinés de plus en plus en émotions passagères et fragiles, sont les ingrédients de la matière dont sont faits les personnages de la pièce.
Ils s’entrelacent, se confrontent, doutent, se désirent et vont dans leur vie, comme des figures désirantes au cœur meurtri. Pascal écrivait dans ses Pensées : « Aller sur la mer, marcher sur une planche ». Ne dirait-on pas une façon d’être au monde que nous reconnaissons dans les multiples crises déclinées dans le vocabulaire contemporain ?
Stanislas Cotton développe une vision généreuse de l’homme où jamais toutes les portes ne restent fermées et où dans le conflit résident la réconciliation et peut-être une harmonie tant désirée.
Écrire à propos d’une pièce de théâtre qu’on n’a pas vue et dont on ne connaît que le texte, est toujours difficile, car ce qui nous reste, ce sont les échos, les fragments, les ruines fondatrices d’un ensemble qui s’appelle la représentation. Antoine Vitez disait du texte de théâtre que c’était comme un grand vaisseau englouti et que nous n’entendions plus courir sur le pont les marins affairés, le vent battre les voiles et les vagues se fracasser contre la coque de cette même représentation.
Mais un texte dramatique est comme la biopsie d’un rêve répété chaque soir en public et Stanislas Cotton a suffisamment de maîtrise et de talent que pour nous faire entendre les enjeux du drame et les profondeurs contrastées de ses personnages.
Le complexe de Robinson est probablement le complexe de chaque civilisation à un certain état de panique, en train de se regarder malade, allergique aux intrus de toute sortes et de toutes extraces … quoique.
L’auteur cherche à révéler les utopies discrètes et élémentaires de notre temps, dans la quête de nouveaux liens, de nouvelles formes amoureuse et de révélations de la beauté d’être au monde dans un monde moins schizophrène…
Daniel Simon
♦ Création du Complexe de Robinson par la Compagnie Euphoric Mouvance
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