Il existe des livres qui rendent des amours impossibles, Ils nous forcent à reconnaître que si quelqu'un(e) trouvait plaisir dans cette littérature-là (ou aimait les moules au chocolat, la langue basse des à peu près, les passe que, à cause que, ou les vins en cannette…), c'est foutu !
Le pire est souvent logé dans l'illusion du bien, c'est cette médiocrité des vertus de bon aloi qui participe aussi à la dévaluation d'une littérature qui se réfugie dans le sujet. Aaah le « sujet », les idées généreuses, la défense des ceci et cela, l’exemplarité, fichu sujet qui couvre tout et alimente des débats qui se couchent pour ne pas dire le fond médiocre des choses qui nous rassemblent et nous ressemblent comme la peste dont on ne pouvait prononcer le nom dans le livre de Camus…
Avec le sujet, ça va, une louche d’imaginaire et ça va encore mieux, c’est doux, c’est nutritif, c’est…émouvant. Sujet et réparation, cette façon de tirer l'affaire vers la lumière plus que d'en fréquenter les ombres basses. Cette « Mélodie du bonheur littéraire » est en général accompagnée du discours orgasmique sur l'obligation de plaisir (dans l'écriture et dans la lecture), comme s'il n'y avait pas une gamme de sentiments et d'émotions plus durables que « le plaisir, à notre disposition d'auteur, d'écrivain et de lecteur »… pour éprouver l'expérience de l'altérité en soi et dans le monde.
La poésie, peut-être parce qu'elle échappe en majeure partie à la médiation du temps, qu'elle compte pour peu dans la guerre des flux, se risque encore régulièrement dans ces zones d'intranquillité.
L'oralisation du texte laisse souvent entendre ce qui n'est pas dit. Des formes d'infra-langues sourdent, des sons crépitent, des étrangetés apparaissent. Le sur-dévoilement rôde là aussi.
La performance peut aussi oblitérer au lieu de détourner alors qu'elle semble acrobatique en matière de glossolalies. Le maniérisme là aussi est souvent de la partie.
Mais quelque chose se joue là, au-delà des effets narcissiques, des trucs de bateleurs, des manières de faire plutôt que de faire entendre : des phrases, des vers occupent soudain l'espace de l'entendement et recouvrent le brouillement du temps. L'embrouillamini des messages infinis est effacé à l'instant par le surgissement d'une langue écoutée, une langue travaillée.
C'est, au risque de l'ennui des facilités performeuses, un des rares moments publics où le temps est ralenti tandis que la langue peut se loger une nouvelle fois en nous, dans d'incertaines cavités où l'expérience du monde réside.
Géricault - Le radeau de la Méduse