Carino BUCCIARELLI, Mon hôte s’appelait Mal Waldron, M.E.O., 2019, 128 p., 15 €, ISBN : 978-2-8070-0182-4
Un triangle mystérieux règne au centre de la littérature : la relation entre le lecteur l’auteur et le narrateur. Les personnages sont les médiateurs de cette complicité triangulaire. Et souvent, la question qui se pose est « D’où viennent–ils ces sacrés personnages ? » Sont-ils issus de ce que nous nommons familièrement le réel (le vrai ?) ou pures fictions, ce qui en soi est aussi contestable. D’où surgissent ces fictions sinon de vraies constructions humaines passées par le filtre de l’expérience intime de l’auteur?
Carino Bucciarelli vient de publier un nouveau roman, Mon hôte s’appelait Mad Waldrom, qui me semble un de ses plus beaux livres. Un roman-mystère construit autour de cette question magique : qui de nous invente l’autre ? Les personnages surgissent et dictent au narrateur ce qu’il en sera, ce qu’il en fut et, peut-être, ce qu’il en est dans cette fiction d’émerveillement. Il s’agit ici de la quête magique des personnages vers une existence à naître dans des dialogues subtils et naïfs à la fois entre le narrateur et lui, le fameux personnage volatile qui attend son auteur pour écrire à sa place la matière romanesque. Elle rejoint, d’une certaine façon, les plus belles pages de la magie du réalisme fantastique et de la quête fabuleuse de l’existence par la volonté et le miracle de l’écriture.
On y découvre de nombreux personnages, que l’on retrouvera au fil du récit dans diverses situations, positions de relations et de dialogues. Mais celui qui est au centre de ce roman lumineux, c’est le musicien afro-américain, Mal Waldron,
compositeur et pianiste hors pair né à New York en 1925 et mort à Bruxelles en 2012. Carino Bucciarelli le fait littéralement naître sous nos yeux. C’est qu’il connaît la musique et surtout le jazz, l’alchimiste carolo… Mal Waldron dialogue avec le narrateur, lui dicte ce qu’il écrira afin que le personnage le vive, et les rencontres s’enchaîneront dans des sauts de temps et d’espace.
Dans un récit de vie imaginaire piqué çà et là du réel biographique des personnages, l’auteur met en scène un narrateur qui voit apparaître ou disparaître, dans les variations de sa concentration et de ses rêveries, les personnages malicieux ou tragiques qui lui soufflent dans l’oreille les entourloupes et les embrouillaminis de toute vie.
D’entrée, on est séduit, puis on se surprend à penser à soi, lecteur, à notre vie et à celles et ceux qui nous la dictent parfois. Ces personnages, sous la plume de l’auteur, (re)naissent dans cette transmutation. L’écriture donne toujours une deuxième chance aux hommes, celle de nous mener, comme Calvino le fit si bien (Si par une nuit d’hiver un voyageur), dans la fable où nous allons souvent en murmurant la chanson de nos vies…
Daniel Simon