Ne pas oublier
d'oublier de vouloir relire "La Montagne magique"
de persister à me faire une cinémathèque d'objets toujours plus rapidement obsolètes
de renoncer à commencer la journée par une heure de piscine
d'abandonner tout projet de vie campagnarde
de cesser de classer définitivement ma bibliothèque
de prendre les feux d'artifices et pétards pour des bandes-sons guerrières de petits soldats impuissants
de parler aux chiens de mon quartier
de ne plus rêver de regarder une dernière fois Rintintin et Rusty sur mon écran un jour de pluie
de ne plus perdre mon argent chez des bouquinistes vieillissants dans l'achat de vieux livres de littérature marine que je ne lirai jamais
les seins de ma première amoureuse, ronds et pointus à la fois
d'oublier ce temps perdu si longtemps à vouloir s'expliquer
de sauver les mots les plus précis surtout dans le brouhaha des imprécis
d'oublier l'inquiétude et la rage molle des Fêtes dangereuses et voraces
de n'en faire qu'à ma tête
de ne plus prendre au sérieux les arguments d'émotion énoncés dans l'émotion
d'oublier ces sales années éteintes dans un internat d'internés
de vouloir réécouter les 45 tours de Petula Clarck dont j'étais amoureux comme un enfant qui n'y connaissait rien
de ne pas oublier mon désir d'écrire un essai sur les films de sous-marins comme métaphores de la démocratie: surface et plongées
d'oublier l'infection qui a envahi le cinéma mondial
d'oublier les "oui, mais" de celles et ceux qui disent qu'il ne faut pas généraliser alors qu'ils enfilent des perles d'ignorance sur des sujets qui n'existent que par leur "oui, mais"
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