Rossano ROSIUn petit sac de cendres. Vers strophes rimes poésies, Impressions nouvelles, 2018, 96 p., 12 € / ePub : 6.99 €, ISBN : 978-2-87449-610-3

« Quand j’entends le mot poésie, je sors mon dictionnaire! » Cela pourrait sembler une forme d’ironie, ou de dépit devant l’apparente dissolution poétique dans les facilités du temps, mais en fait il s’agit d’une question essentielle en ce domaine : où en est ce que l’on nomme, dans tous les sens, « poésie »? Les diktats dans le monde poétique sont légions et les tribus solidement repliées derrière quelques étendards, mots d’ordre ou de désordre, impitoyables en matière de jugement dernier à propos de ce qu’est ou n’est pas la poésie. Autant dire que le lecteur, hormis le cercle des intimes, a toutes les difficultés à reconnaître ce qu’est cette nébuleuse poésie dans la masse des powèmes qui sont la première matière du Net, après le sexebien entendu…

Rossano Rosi, dans son dernier livre Un petit sac de cendres répond, dix ans après Pocket Plan, à cette question. Il sous-titre son livre vers strophes rimes poésies, tout un programme! L’ancien combat des titans que sont le vers libre et le vers rimé n’est pas le sujet, mais plutôt, de ressaisir dans des formes extrêmement contrôlées, une liberté de ton et de pensée salutaire.


Lire aussi : un extrait d’Un petit sac de cendres


Jan Baetens qui réfléchit régulièrement à cette question tout au long de ses essais, articles et poèmes, nous livre sur le site de l’éditeur Les Impressions nouvelles une lecture d’Un petit sac de cendres hautement pertinente au cœur des agitations politiques et poétiques.

Rossano Rosi rassemble en un magnifique livre ces questions qui sont les nôtres : le temps qui s’effrite en nous, les cendres de la vie qui brûle en nous et hors de nous, toutes ces questions qui fusent à chaque micro-instant du vivant et que l’homme tente de faire tenir debout dans ce que l’on aura appelé un jour l’art, et la poésie en particulier. 

XXIV — Bubulus bubb

Ci-bat mon cœur — un petit sac de cendres
issu du livre écrit par le Hibou
dans son vieux belge épicé dont le pouls
a battu par Lys, Escaut, Meuse ou Dendre.

C’est un roman de traits et de méandres,
où les bourreaux égorgettent les cous
de tous coquins sans honte ni tabou ;
c’est un roman bon pour vous faire pendre.

Ça pue le sang, la police, le fer ;
y brûlent polissons qui, gais et fiers,
boutent les mots du monde hors de leurs lignes.

Langue de police ou de polissons ?
— sage hibou choisira sens et sons,
dont il sait qu’aucun ne compte pour guignes.

La poésie de Rossano Rosi n’est en rien une suite de divagations précieuses mais bien une  « remise en scène »  des outils et des explorations qu’ils permettent. Autrement dit le programme est déclaré d’emblée, il s’agit de se saisir des formes « anciennes » et de réélectrifier une fois encore, à l’encontre d’une mollesse redoutable de l’égalisation des goûts culturels, ce qui traîne en l’homme et ne cesse de le hanter. L’auteur crapahute dans les embûches de ce que nous appelons le réel et nous invite à fuir la mélancolie pour assembler dans le petit sac du poème les poussières du temps, toujours dispersé.

Les poèmes sont assemblés sous la bannière de cinq titres, de chapitres… Trois Satires, Lyrismes, Mes Vies parallèles, Puériculture, Des livres… Ce chapitrage annonce une certaine dose d’humour et même d’ironie que l’auteur pratique allègrement, tout en saisissant à la gorge les ombres et les anamorphoses qui rôdent…

Daniel Simon

https://le-carnet-et-les-instants.net/2018/08/08/rosi-un-petit-sac-de-cendres/#more-21787