Pendant longtemps ça s’est passé autrement.
Il sonnait, on se regardait, qui allait se lever ?
On demandait : « C’est pour qui ? » et on lui passait le cornet.
Puis ça a changé.
La famille aussi.
Ca changeait tout le temps et rien ne changeait vraiment.
Sauf nous.
Un jour chacun d’entre nous a acheté un téléphone portable, on ne devait plus se lever pour décrocher. On a gagné ça.
On a changé régulièrement de portable, ils le changeaient souvent pour que nous aussi on en change. Tout le monde a alors acheté des téléphones portables à durée limitée.
C’était bien, on ne devait plus s’inquiéter car systématiquement après un certain temps, très court, ils tombaient en panne.
J’ai alors décidé de sérieusement réfléchir à ma situation, mes enfants étaient déjà perdus, ça ne servait plus à rien, ils glissaient dans la grande machine avec volupté, moi ça me mettait les nerfs en boule de les voir assignés à téléphone.
J’ai décidé de me prendre en mains au plus tôt.
J’avais un téléphone qui me servait à tout : téléphoner debout, assis, couché. Il servait parfaitement à toutes les variations.
Mais ça ne me convenait pas.
Tout s’embrouillait dans ma vie.
J’ai décidé d’innover et de redonner à ma vie un peu de logique.
Résumons : je téléphonais débout, assis, couché avec le même téléphone et c’était peut-être là ma grande erreur.
Cette confusion des fonctions et positions me troublait.
J’ai fait le tour de l’appartement en notant scrupuleusement les endroits habituels d’où je recevais ou envoyais des messages ou des appels.
J’en repérai trois notoirement importants : le lit, mon bureau et le hall d’entrée.
Les toilettes, salle-de-bains, cuisine et terrasse ne servaient que rarement.
Je me mis donc au lit avec un téléphone et commençai quelques conversations. Très vite je me rendis compte que le téléphone que j’utilisas laissait glisser de la conversation dans l’oreiller et que peu à peu, imperceptiblement, la conversation se coupait ou je m’endormais.
Il me fallait donc changer de téléphone dans la gamme des appareils adaptés à la position couchée, sur le flanc ou le dos.
Je me rendis compte par la même expérience que je pouvais nettement utiliser ce téléphone dans mon bureau et qu’il convenait parfaitement à la position assise.
Mais l’orientation de cette pièce n’était pas excellente et les ondes n’arrivaient que difficilement dans ce coin de l’immeuble.
J’ai alors essayé dans le hall et là tout fonctionnait parfaitement. Je téléphonais debout et ce téléphone était excellent pour cette position de conversation. Je l’affectai donc au hall d’entrée et le fixai à portée de main quand, dos à la porte, j’avais une vue d’ensemble sur le salon qui m’inspirait calme et sérénité.
Je le désignai donc comme téléphone de hall debout.
Mais je devais encore résoudre les questions du bureau et de la chambre.
Je consultai des catalogues et je crus comprendre que certains appareils étaient plus idoines pour tel ou tel lieu.
J’en achetai donc deux que j’essayai immédiatement.
D’abord dans mon bureau. Les ondes hésitaient encore. Peut-être était-ce celui destiné à la position couchée ?
Je branchai le second téléphone et les ondes coulèrent sans réserve dans mon oreille.
J’étais comblé, j’avais donc trouvé le portable assis que je fixai solidement à côté de mon ordinateur.
J’attendis le soir pour essayer le portable pour lit.
Je téléphonai à une amie proche qui me rappela après quelques incidents de réception. Après une dizaine d’ « allo ? » on raccrocha et je recomposai son numéro.
Tout de suite j’entendis la voix claire de mon amie et la conversation dura longtemps sans que rien ne s’en échappe dans le traversin ou la couette. Ce téléphone était donc parfaitement conçu pour la position couchée.
Je le fixai solidement à la tête du lit.
Je venais enfin, à un moment crucial de mon existence, où tout s’enchevêtrait dans le plus grand chaos sentimental, de remettre des balises solides à ce qui allait devenir, je n’en doutais pas, le départ d’une nouvelle vie.
J'avais choisis d'innover, j'étais redevenu moderne, un monde excitant s'ouvrait à moi.