Patrick IRATNI, J’ai toujours voulu tuer ma mère, Pierre-Guillaume De Roux, 96 p., 21,90 €
Les mères ont belle réputation dans la littérature : elles sont dévorantes ogresses, dolorosa, cruelles, saintes, sacrifiées, éternelles mais peu à peu la littérature est en train de délivrer un des secrets les mieux gardés de cette époque : elles ne cessent de mourir…à répétitions.
Dans ce temps de vivre supplémentaire que l’époque nous offre, l’âge devient un moteur à dramaturgies romanesques ou cinématographiques. Le roman de Patrick Iratni, J’ai toujours voulu tuer ma mère, saisit lucidement cette nouvelle donne des relations, souvent épuisantes, à la mère vieillissante et bientôt mourante. Scénariste, auteur d’un savoureux précèdent roman,Éloge du gros, Iratni pose ici la situation d’un huis clos tendu et désespérément comique. La matière même du roman commence à devenir une expérience partagée par beaucoup. « Elle va nous emmener avec elles » devient un lieu commun que l’on chuchote encore pudiquement mais la littérature ne se prive pas de mettre en scène la longévité de ces troublants adieux.
Patrick Iratni saisit la vie en plein vol, il a le doigt fin et sait capter ce qui pourrait sembler volatile : la mélancolie d’un fils quadra tout à l’amour de sa mère, fatigué de soi dans cette servitude volontaire et tyrannique, une mère palpitant de joie doucement carnassière tant l’enfance est encore à l’œuvre en elle. Madeleine, quatre-vingt-ans, vit en maison de repos et entre en douceur dans l’Alzheimer…en enroulant son fils dans le fil de plus en plus serré d’une joie d’aimer… infernale.
Des scènes discrètement burlesques articulent le récit de telle sorte que le montage des chapitres crée une connivence dans le ridicule et non devant lui…
Des figures de psy, de complices férocement compatissants ou désolants font la nique à toute bigoterie de circonstance. Iratni passe d’un chapitre à l’autre avec une vitesse d’écriture sans cesse renouvelée. Le style est vif, la phrase se joue de la plainte et la transforme en dérision. Elle a le chic de nous surprendre friands de ces décrépitudes de gentils.
L’air de rien, Patrick Iratni vient d’écrire un roman heureux, chose rare, dans une époque plaintive et inquiète. Ses personnages sont passés par la cornue d’une alchimie puissante : l’ironie est souvent le scalpel le plus fin pour atteindre « l’intranquillité » des hommes.
J’ai toujours voulu tuer ma mère entremêle avec bonheur les émotions les plus fortes et des rires sous cape.
Daniel SIMON
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