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Des jeunes ados, futurs diabétiques, à l'arrêt du tram. Chips et soda, pas encore obèses, ça se profile, l'air lourd, la mine chiffonnée. Le tram arrive, je monte entouré de fatigue. On sent la fin de l'année, les toux persistantes, le manque de lumière: on somnole sur les banquettes, les machoires tombent, les enfants se taisent, les nourrissons dorment.
 
Le tram a un raté et une jeune femme sur-maquillée, coiffeur, manucure, visage fermé est bousculée et va cogner une barre d'appui. J'essaie de la rattrapper, je lui saisis le bras, je retiens sa chute et je vois qu'elle se frotte le ventre sous le manteau, elle semble souffrir. "Le bébé donne des coups maintenant!".
 
Moi, des paroles de consolation, elle, un sourire d'ange "Merci beaucoup". Elle descend, elle se retourne "Encore merci", et moi à la musulmane, la main droite sur le coeur, "Fille ou garçon?" "Une fille!" et elle sourit en descendant du tram.J'en oublie les pianoteurs d'IPads, absorbés, téléphonant, j'imagine qu'ils téléphoneront encore sur leur lit de mort. Pas un livre. Sous quelque forme que ce soit. Mais je ne suis peut-être pas dans la bonne géographie territoriale des lecteurs?
 
On arrive à la gare du Nord, la seule dont l'horloge du Point de rendez-vous des voyageurs n'a pas d'aiguilles. Le temps mesuré est absent de la Gare aux Sans-abris. Je m'achète mon billet, un sandwich, la jeune fille est dynamique, souriante, elle me met d'excellente humeur.
 
Je saute dans le train, m'installe à mon insu en première classe. Le Contrôleur me le fait remarquer en me réveillant avec un grand sourire, j'avais mis mes écouteurs et j'écoutais "La Prose du Transsibérien" encore une fois, je passe en deuxième classe, pas de changements à mes yeux. J'irais en première que je me plaindrais de cette ressemblance avec les wagons des gueux.
 
Je donne mon atelier d'écriture, le dernier de l'année. De beaux textes, des mines réjouies, des miracles comme toujours grâce à l'exigence réciproque. La bibliothécaire, qui n'a pas cessé de tousser, fiévreuse, pendant toute la séance ("Mais je voulais être là") me reconduit gentiment comme chaque fois à la gare...Une gare? Enfin un quai auquel on a accès par un tunnel pisseux et en plein vent, pluie, neige, on attend le train qui surgit du brouillard comme dans un film d'André Delvaux.
 
Retour mélancolique, un dernier atelier dans la nuit qui est tombée, le temps qui passe, l'année qui s'achève dans un climat d'inquitéude, sous une température trop douce, je pense aux absents, à la petite qui nous a quittés, fatiguée du monde, à tout ce que je dois encore tenter de boucler avant la fin de l'année...
 
De retour à la gare du Nord, je salue les jeunes filles qui n'ont pas cesser de vendre leurs sandwiches sept heures durant. Un bon mot, je leur renvoie l'énergie du matin, elles sourient, leurs yeux pétillent. Dans le tram retour un jeune homme debout lit un livre et tient son téléphone de l'autre main. Il passe de l'un à l'autre.
 
Un femme africaine au beau visage entouré de tresses vient vres moi en parlant, je ne sais si elle s'adresse à moi, ou à un autre, son regard ne pointe personne en particulier. Je lui demande "Ca va, Madame?" Elle sourit en me montrant son écouteur dans l'oreille sous le coulis de tresses. Elle parle le kinyarwanda, j'aime les sonorités de cette langue. Je le lui dis, elle bat des paupières, me fait signe que oui, tout en poursuivant sa conversation.
 
Un homme monte précédé d'une effluve de bière, il se cale près des portes et sort son téléphone. Il parle si fort que je mets à rire, nous nous regardons entre passagers en haussant les sourcils. Il est à un mètre de moi. Il pue. Il engueule sa femme, répète trois fois qu'il est dans le tram et que "ça je ne peux rien faire contre". Puis il raccroche, ferme les yeux et somnole debout.
 
Je descends, je suis arrivé chez moi, c'était une bonne journée.
 

 

Tag(s) : #Textes
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