« A quoi distingue-t-on toute décadence littéraire ? A ce que la vie n’anime plus l’ensemble. Le mot devient souverain et fait irruption hors de la phrase, la phrase déborde et obscurcit le sens de la page, la page prend vie au détriment de l’ensemble : le tout ne forme plus un tout. »
Friedrich Nietzsche, Le cas Wagner (1888)
Il y a cette obsession à propos des mots, grandissante au fur et à mesure où le texte s'éloigne dans des brumes de lettres, devient un fragment inachevé de lieux communs, un semis de cailloux sans cristal. Depuis une dizaine d'années, les mots seraient en fausse littérature, en écriture/écrivante, des objets, beaux en soi, aimables, si aimables qu'on les fête, danse, jongle, joue,....Des mots comme des dragées, des madeleines artisanales de chez mal foutus, des bonbons sucrés, des petites fées magiques culottées de pilou, comme si on en était revenus à l'apprentissage d'un improbable abécédaire...
Les mots comme entités autonomes, mots fétiches...Tant et tant que la question centrale: où et comment les placer pour qu'ils constituent une phrase et au bout, un texte, semble triviale et salement comptable? A côté de quel autre mot placer celui-ci ou celui-là semble une question vulgaire, alors que c'est probablement la question centrale. Que mettre à côte de quoi? Comment constituer des assemblages qui font son, forme et sens? Comment construire des structures simples ou complexes qui ne cèdent en rien au goût des "nouveaux riches" du vocabulaire, de "la ruche riche des mots"?
Comment nous lâcher avec le ludisme supposé d'un jongleur sans technique, sans précision, sans forme? Pourquoi sans cesse émietter jusqu'au sable qui coule - comme les lentilles d'Amélie Poulain entre ses doigts de gourde au regard de carpe - roule sur le sable et se confond avec le sable?
Peut-être que la phrase fait blasphème? Peut-être qu'elle nomme, plutôt qu'évoquer dans le silence des muets sidérés? Peut-être que les mots détachés, désarticulés de la phrase ne peuvent plus prétendre ainsi qu'à un statut d'objet sans valeur comme une amulette de supermaché, une crotte dans le bac à sable, un bijou "made in"?
Peut-être.
http://traverse.unblog.fr/2009/09/10/la-partie-pour-le-tout/