Dans cette relation d'étrangeté que beaucoup vivent avec le réel, je me sens souvent ridicule, à côté, en deçà. C'est peut-être la raison pour laquelle le terme "rebondir" me va si mal...J'ai une aversion pour cette sémantique de la réparation immédiate, celle de l'homme "sans qualités", bio-mécanique, managéré. Et autant pour celles et ceux qui l'emploient à tort et à travers.
Ceux qui sautent de plus en plus souvent des hauteurs glacées des Entreprises en savent quelque chose. Fontaine et Areski en ont fait une chanson dans les années 70, "C'est normal".(1)
" (...) La la la...
- Areski !
- Qu'est-ce qu'il y a encore ?
- Tu sens pas comme si on commençait à tomber, là, un peu... ?
- Ecoute... Ecoute...
- Oui.
- Essaie de comprendre, c'est très simple.
- Oui.
- Tu te souviens la combustion ?
- Oui.
- La destruction de l'immeuble par les flammes ?
- Oui.
- Bon. Ça veut dire qu'en-dessous, les murs et les étages ont disparu.
- Hum.
- Et qu'nous n'sommes plus soutenus par rien.
- Ouais.
- Or, une chose qui n'est plus soutenue par rien, tombe. C'est ce qu'on appelle la pesanteur. C'est normal !
- Aaaah, ouais. (...) "
La question est donc de ne pas rebondir mais de tomber à pic, au bon endroit. Celui de la nécessité. Tomber comme une répétition permanente de ce que devient l'homme contemporain, l'homme qui tombe. Des Twins Towers ou de de son humanité, je vois des hommes tomber. De fatigue, d'épuisement, de chagrin, de mal être, de honte et de colère, ils tombent. Et puis, c'est normal, ça passe à la radio (2), sur le Net, ca rentre dans le flux et les hommes qui tombent ont la faculté miraculeuse de se transformer en chiffres, statistiques, arguments.
L'homme qui tombe (3) s'écrase à la fin, à moins que le Paradoxe de Zénon (4) ne les sauve de l'impact en fragmentant en permanence la distance entre la chute et l'écrasement.
L.'écriture joue de cette fragmentation et la chute, si souvent nommée dans le récit, nécessaire à l'entendement de la narration, conditionne l'ensemble, le renvoie à ses multiples dépliements. La chute boucle et referme le cycle de l'errance. Lui donne sens, en fermant la forme. L'enclosure est notre terrain de jeu.
Je ne sais si tomber peut échapper au comique. Ce que je sais c'est que le comique nait de ce tragique banal que la sémantique essaye de nous ravir. Le Management de la Gestion (des sentiments, des émotions, des conflits, ...) retient de quelques avantages l'homme de tomber. D'une main invisible dans une farce éclatante.
1. http://musique.ados.fr/Brigitte-Fontaine/C-Est-Normal-t41116.html
2. http://www.greatsong.net/PAROLES-BRIGITTE-FONTAINE,COMME-A-LA-RADIO,100930440.html
3. http://www.actes-sud.fr/catalogue/romans-nouvelles-et-recits/lhomme-qui-tombe-0