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Des livres, des films sur la marche ne cessent de paraître. Comme si cette activité recelait dans son épuisement de toutes formes un infini dépliement de l' homme dans le cours d'une vie. Marcher pour vivre, marcher pour mourir. Marcher pour échapper à la vitesse du monde. Marcher pour fuir le chaos, marcher pour se confronter, marcher pour se retrouver, marcher ensemble,...

Les circonstances de la marche sont infinies. On pourrait y ajouter une figure: la marche sur tapis roulant en salle de fitness. Marcher sur place devant son écran, en vérifiant régulièrement son rythme cardiaque et son taux de glicémie. Une sorte de contrôle technique...

L'humanité est née de la marche. L'homme s'est dévelopé dans cette infinie confrontations aux épreuves de la marche.

L'homme assis est en train de gagner du terrain. Homme assis, branché, connecté, en déplacement virtuel, homme sans corps.

Les films de Wim Wenders cartographiaient l'Europe. On marchait beaucoup, on prenait le train, sans cesse des trains ("L'ami américain", "Alice dans les villes", "Tokyo ga"...jusqu'à l'errance de "Paris-Texas"). Des cartes géographiques appararaissanient à l'écran en filigranes du paysage, puis en un long zoom arrière, l'image se débarassait de ses éléments, protagonistes et autres sujets. Il ne restait que les lignes de force de la géographie, on en revenait à l'essentiel: au territoire de l'Histoire.

Wenders est un créateur de l'après-guerre, nourri des récits des deux conflits mondiaux, de l'idée européenne de la réconciliation et de la mémoire perdue, du songe ("Les Anges du désir") d'une Faute à jamais rejouée et qui tente d'échapper au tragique.

Pour vivre son histoire, il s'agissait de la placer dans une géographie, de ressentir l'espace dans lequel et sur lequel elle avait lieu. D'où l'importance de ses films pour ma génération qui a encore pratiqué (comme nombre de jeunes américains) le rituel du Tour de France ou d'Europe en stop. C'était fin des années soixante. Les années septante allaient voir peu à peu disparaître cette façon de vivre le voyage. Le temps des déplacements plus confortables, low-costs était en train de prendre pied.

Peu à peu, le Charter s'est imposé et le tourisme de masse a lancé ses grappins de plus en plus loin. Au début, on photographie les nuages, puis, peu à peu, on attend que ça passe, on turlupine ses godemichets d'infos et de jeux.

Lentement le sentiment du territoire se volatilise. Le temps et le chemin pour se rendre à tel ou tel endroit ont rétréci. La sensibilité aux récits du territoire également. 

Une culture du rien est apparue, faite de l'invisibilité apparente du territoire, de sa fragile banalité. Les Musées, les plages, les richesses culturelles, les singularités sont des points de pélérinages obligés, saisonniers, tribaux. Chacun joue dans cette géographie disloquée. Le sol a disparu, demeure des phénomènes, des pointes de désir, des lieux, des trésors où on accède par bonds. Comme si les territoires étaient des sites que nous visitons par sauts d'hyperliens. Pour beaucoup, le territoire s'est dissipé dans la mondialisation. Le territoire est flottant, détaché du sol, en suspens dans la Toile...

 

Jean-Christophe Bailly nous donne à lire un exceptionnel antidote...

http://www.lesinrocks.com/2011/09/03/livres/le-depaysement-jean-christophe-bailly-arpente-les-lieux-communs-1110189/

La dissipation du territoire
La dissipation du territoire
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