Daniel SIMON, C’est ici, Carnets du dessert de lune, 2025, 99 p., 15 €, ISBN : 978-2-39055-049-5
Nouvelliste, dramaturge, essayiste et poète, Daniel Simon a navigué dans le monde de la culture toute sa vie durant, multipliant les activités professionnelles en Belgique et à l’étranger, saisissant toutes les occasions de faire rayonner avec générosité son amour des mots. Il ajoute aujourd’hui un ouvrage de poésie à sa bibliographie abondante, aux côtés de quatre autres recueils parus précédemment.
À en tourner les pages, on est emporté par la densité du propos, par le déroulé des mots qui occupe tout l’espace, conviant l’esprit à un périple où le lecteur ne saurait rester impassible. C’est ici plante les deux pieds dans notre monde tourmenté, celui des désastres, des guerres, de l’injustice, des rendez-vous manqués :
Bonjour
À la pluie à la grêle à la neige
aux bombes glacées
et aux avions perdus
aux poèmes légers
et aux romans si lourds
aux amours abandonnées
aux asiles de nuits
aux enfants déliés des écrans
à l’abri de parents trop sucrés
aux vérités confites sentiments
de brocante au bric-à-brac
d’un monde sans appui
aux sourires canins ou câlins
les mêmes
après la soupe le soleil revient
et je sors à l’instant.
C’est du temps qui passe, de ce qui a été et qui n’est plus qu’il est aussi question ici, comme en parlent volontiers ceux dont la route est longue déjà. Des souvenirs, des amis disparus, des usines qui ont fermé, de l’enfance si lointaine et présente, des « villes remontées pierre à pierre », de la solitude qui ronge les nuits. Sans taire la difficulté de s’extraire des griffes du malheur, de se détourner des ténèbres. Au chevet de l’esprit, des éclairs de beauté et de bonheur, furtifs mais de tenace prégnance, enfouis sous les nuages qu’un vent opportun chasse : un geste, un éclat de lumière, un regard croisé, tout fait farine au bon moulin de la vitalité qui s’impose.
Table rase
armoires vides
la nuit vient
j’ai aimé le jour
à chaque instant
avant le grand combat
des haltes rieuses
des bras chauds
j’ai aimé ce que j’aime
plus encore aujourd’hui
une musique
que je cherche parfois
dans les livres souvent
dans vos yeux
l’air de rien
j’ai aimé la voix
des hommes
fatigués
je sors léger.
À suivre la ronde des mots, on mesure la lucidité généreuse du propos, qui est à l’image de celle de l’auteur lui-même. Guidée par une humanité profondément ancrée dans son temps, une curiosité en éveil constant, une présence au monde qui ne se résout pas au malheur sans succomber aux simplismes réducteurs ni à leurs images douçâtres. Pour dire tout cela, Daniel Simon parie sur une écriture libérée tout à la fois de la ponctuation et de la rime, multipliant les associations et résonances entre ce qui précède et qui suit, sans toutefois franchir le cap de l’hermétisme. De quoi faire de ce recueil un livre précieux auquel revenir à souhait pour prendre une goulée d’air frais.
Thierry Detienne