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L’arpenteur ébloui

Christophe VAN STAEN, L’attribution des marchés publics, Aux Palais Outre-Ponts, 2024, 103 p., 15 €, ISBN : 978-9-0903-9288-2

van staen l'attribution des marchés publics(…) Un jour m’était venue l’idée d’une promenade dans la vallée. Parti seul, sans prévenir qui que ce soit, comme un membre des brigades partisanes gagnant le maquis pour mettre à exécution son plan d’attentat – j’étais sûr de mon fait, sûr de revenir avant l’heure du déjeuner – je m’enfonçais par le sentier dans les profondeurs végétales. Je ne sais pourquoi, il me fallait une errance, un égarement, un abandon – mais heureux cette fois, souhaité –, une désertion? J’avançais parmi les branchages de plus en plus touffus, qui finirent par me dépasser en taille. Du haut du sentier que je suivais du regard, j’en vis une autre en contrebas, à une dizaine de mètres. J’avisai la paroi, qui était parsemée de renforts et de racines proliférantes qui me semblèrent dignes de confiance. (…)

Avec L’attribution des marchés publicsChristophe Van Staen se fait arpenteur des souvenirs, des lieux, des multiples vies qu’il envisage ou explore en une prose tendue et toute chargée des expériences de la vie, de la matière, des formes et du fait d’être au monde. Ce recueil de fragments poétiques est cousu comme une rhapsodie romanesque proposant une réflexion sur la déambulation, l’errance et l’égarement.

Christophe Van Staen est chercheur et poète. Il est l’auteur de plus de cent-vingt études sur Rousseau et les Lumières. Parallèlement, il a notamment publié une dizaine de livres de formes diverses où la poésie règne…

L’auteur vient de nous offrir un singulier roman, dans le sens où il échappe au registre et à l’architecture générale du roman contemporain. Les séquences s’enchaînent, tantôt sous formes de méditations, tantôt dans des adresses à des interlocuteurs ou interlocutrices, mais cette rhapsodie de visions et d’arpentage des lieux ouvre sur un territoire qui appartient autant au registre de la poésie qu’à celui de la réflexion philosophique. Ce sont des arrêts sur images qui se déplient souvent dans un savoureux mélange de concrétude et d’inflexions vers la question de la présence au monde et du « Qu’est-ce que je fais là ? »…

Dans une toute jeune maison d’édition, Aux Palais Outre-Ponts, fondée avec son père Marc Van Staen, l’auteur confirme un talent que l’on avait déjà relevé dans quelques publications entre autres chez Maelström et Lamiroy éditeurs. Il nous parle avec émerveillement du regard, de la lumière, de la matière, de tout ce qui constitue le fondement même de nos intrications avec le monde et ses ombres ; de tout ce qui constitue les stratégies du rapport au passé-présent et de la perception de notre finitude dans une suite de courts textes… Ainsi, parmi bien d’autres lieux, il nous promène dans les impasses des tunnels bruxellois en faisant, non pas œuvre de chaland nonchalant, mais de minutieux observateur de ce qui fait surgir l’histoire d’un lieu, de sa pérennité ou de sa décrépitude. Il nous parle d’amour et de cette curieuse façon qu’ont les hommes de prendre place dans des espaces qu’ils ne quitteront plus, tant la mémoire nous renvoie imperceptiblement dans la curieuse solitude de celle ou celui qui n’a pas encore mesuré combien l’impact de la matière, devenue architecture, pénètre immanquablement dans le réseau sensible du promeneur. Elle vient alors frapper ce point aveugle de l’œil qui accueille tous les subterfuges et toutes les révélations d’un quartier traversé.

Itinérance, arrêt sur image, gros plan, voix off sont les ressorts de ce court roman atypique et rhapsodique où la bande-son est constituée de la tension poétique qui traverse les récits. 

Une singulière promenade initiatique dans les lieux des notre vie !

Daniel Simon

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