Un coup de cœur du Carnet
Valériane DE MAERTELEIRE, La reine rouge, Lansman, 2025, 63 p., 11 €, ISBN : 2807104312
Le ministre: Au fond, tout ce qui vous intéresse, c’est le scandale! C’est que l’on parle de vous.
La reine: Et qu’est-ce qui vous intéresse vous, « Monsieur le secrétaire général de l’OTAN »? Vous ne voulez pas vous entendre avec les Russes! Oh non, non, non! Vous préférez continuer à vendre des armes, des armes, encore plus d’armes. La guerre froide vous arrange bien. Ce sont les bénéfices de la FN Herstal qui vous importent !
Le ministre: Mais la FN est une entreprise de VOTRE pays bon sang!
La reine: Et bien qu’elle se contente de fabriquer des motos! Vous ne voyez que le profit. « Le capitalisme provoquera des crises de plus en plus importantes puis finira par imploser. » Ce n’est pas de moi, c’est de Marx.
Commencer cette chronique par cet extrait de la pièce La reine rouge de Valériane de Maerteleire est évidemment une façon de rappeler le temps de l’Histoire et ses apparentes répétitions. Valériane de Maerteleire a écrit une comédie particulièrement brillante et attachante qui a reçu, sur manuscrit, le prix Pleins Feux de l’Association des Écrivains belges et qui vient d’être créée au Théâtre royal du Parc avec un succès public et critique général.
Issue d’une génération qui n’a pas connu cette période de la guerre froide, elle a déjà plusieurs pièces et livres publiés.
L’autrice a longuement interrogé les archives et les témoignages autour de cet événement qui fit scandale en 1958 mais qui marque aussi la profonde liberté de pensée de la reine Élisabeth. Celle-ci a toujours manifesté un intérêt actif pour les arts mais aussi bataillé contre les évidences idéologiques du temps. Elle fut manifestement une ambassadrice de la liberté et, lorsque, lors des préparatifs en 1958 de l’Exposition Universelle de Bruxelles, alors qu’elle est installée au Château de Stuyvenberg après l’accession au trône du Roi Baudouin, elle répond positivement à une invitation en URSS à l’occasion du concours Tchaikovsky, son attitude fait trembler le Royaume et frissonner l’idéologie du temps.
Pour la reine Élisabeth, les obligations de la fonction ne semblaient pas constituer une chape de plomb plus lourde encore que la rigueur de ce temps où l’ombre d’une troisième guerre mondiale était toujours présente. Les ministres, les conseillers, le personnel de la Cour, tous ces personnages sont de remarquables interlocuteurs dans les relations avec cette Dame qui voyait dans le rapprochement des peuples, des nations et des blocs idéologiques confrontés, une façon de célébrer la paix toute récente mais aussi de construire une sorte de nouvelle ère européenne.
Paul-Henri Spaak, Ministre des Affaires étrangères de l’époque, tentera de l’en dissuader mais rien n’y fit, elle partira pour Moscou ! Cet épisode de l’Histoire belge et européenne est particulièrement maitrisé par l’autrice qui, décidant d’en faire une comédie, ne cesse de construire une formidable intrigue qui n’est pas loin de rappeler la dramaturgie brechtienne.
Les personnages jouent pour nous les coulisses d’une Histoire qui fit la Une des journaux et des Chancelleries du temps. Les répliques sont toutes frappées d’une intelligence de la situation qui mérite d’être saluée ici. On y lit les doutes, les credos, les obsessions, les espérances, l’incompréhension, la peur, mais aussi l’ironie dans cette composition en forme de comédie qui évite soigneusement les pièges d’une tragédie de surface.
Valériane de Maerteleire a atteint ici une singulière plénitude qui fait de cette pièce un des documents les plus inattendus et les plus passionnants sur cette période de la guerre froide.
Daniel Simon