Robert MASSART, Oublier Djô, M.E.O., 2023, 200 p., 19 € / ePub : 11,99 €, ISBN : 978-2-8070-0395-8
Mon oncle, quand tu liras ceci je serai déjà loin. N’essaie pas de me retrouver. Je te dis merci pour tout ce que tu as fait pour moi, mais je suis majeur désormais et je veux vivre ma vie. Il faut m’oublier. Djô.
Belle énigme que cette phase, banale pour avoir été tant et tant de fois prononcée, écrite, proclamée par celles ou ceux qui décident de « partir ». Et Daniel entend dans « partir » un possible « mourir »… On imagine donc Daniel, l’oncle, le mentor, le référent de Djô, neveu venu d’Asie et dont la mère est morte, confronté à ce qui pourrait bien être un billet du désastre.
Djô est un jeune homme à la recherche du père et révélera au long du récit la multiplicité de ses identités et les traces de ses pérégrinations anciennes. Daniel, lui, entre dans l’âge des questions verticales, la bonne soixantaine accomplie, homosexuel et en deuil de son ancien compagnon Michel. Comment va-t-il continuer à vivre…
Dès lors, il part sur les routes de France et de Belgique à la recherche de Djô avec un chat que lui a confié une amie, Claudine, et qui porte le nom Vlad… C’est peut-être ici l’occasion de préciser que Robert Massart, ancien professeur de français, se rend régulièrement en Roumanie où il exerce des activités autour de la langue française et, évidemment, Vlad, l’empaleur, Dracula sonnent comme un clin d’œil mais, on le sait, l’onomastique n’est jamais innocente et ce nom fait tout de suite vibrer le récit dans des zones d’inquiétude.
Les êtres sont souvent invisibles et Djô, peu à peu, gagne en lisibilité et apparaît à nos yeux, comme toute génération qui veut « vivre sa vie », en une mutation qui jouxte souvent une initiation, dans la peau d’un renaissant… Daniel, lui, fait la soudure avec un autre monde chargé de prescriptions de bonheur et, dans le même temps, avec la (re)mise en jeu de toute vie.
Oublier Djô peut aussi se lire comme une version contemporaine de ce qu’on appelait jusqu’au 19e siècle un roman d’apprentissage ou de formation. L’éditeur annonce un road movie et évidemment cette expression renvoie de façon directe à la mythologie cinématographique de l’errance et de cette façon de se déplacer dans le paysage au contact des êtres les plus désarticulés.
L’auteur, au gré des chapitres, laisse affleurer des questions de société qui touchent souvent à l’existence même des êtres : la sexualité, la solitude, le vieillissement, la confrontation à la multiculturalité… Chacune et chacun, autant Daniel que Djô et les personnages secondaires, se retrouve dans des tensions épiphaniques tout au long de ce roman à rebondissements.
Dans une remontée de la rivière, comme dans chaque Odyssée personnelle, ce sont des questions souvent sans réponses apparentes qui se laissent entrevoir et Robert Massart sait relancer les confrontations qui vont se multiplier et ouvrir le cœur des personnages à de belles rencontres avec l’intimité même des lecteurs.
Dans une écriture fluide qui joue très bien de l’oralité écrite, et qui alterne régulièrement les zones de révélation et de découverte des personnages, l’auteur livre ici un roman de son époque, celle de l’incertitude, de la déshérence, de l’inquiétude et aussi du bricolage émotionnel et affectif en ce monde éparpillé auquel la plupart sont confrontés.
Le récit ne peut donc se résumer sous la forme scénaristique car, bien plus, dans la géophysique des personnages, le lecteur entend résonner des douleurs et des blessures à la mesure d’un temps où le passé peine à trouver sa place.
Daniel Simon