Jean-François FONSON et Fernand WICHELER, La demoiselle de magasin – théâtre, Samsa, coll. « Des lettres bruxelloises », 2023, 158p., 20 €, ISBN : 978-2-87593-434-5
Les éditions Samsa, dans la collection « Des lettres bruxelloises », viennent d’inscrire à leur catalogue une pièce de théâtre, La demoiselle de magasin de Jean-François Fonson et Fernand Wicheler, qui connut un succès international en 1913 après l’impressionnante tornade théâtrale que fut Le mariage de Mademoiselle Beulemans des mêmes auteurs…
De nombreuses traductions et une version cinématographique consacrèrent La demoiselle de magasin comme une œuvre de théâtre belge qui jouait de tous les ressorts de la comédie mais aussi du « conte de fées » social. Plus que Maeterlinck, Ghelderode,… fort montés sur les scènes mondiales d’alors, cette pièce connut un incroyable succès, elle renvoie à cette révolution du commerce urbain : l’invention des grands magasins. Au milieu du 19e siècle à Paris, les grands magasins et, dans la suite, le Bon Marché,… seront le punctum de l’accès de la classe moyenne et populaire à cette nouvelle Institution de la consommation et des relations entre vendeurs et clients. Jusque là, seuls les hommes avaient le droit de pratiquer ce métier de « vendeur ». Ce succès évidemment se déplace vite à Bruxelles et c’est en 1860 que le Bon Marché y sera inauguré. La logique de cette nouvelle pratique commerciale et financière consiste à offrir au meilleur prix, dans un grand lieu chic, un maximum de produits destinés aux femmes à la mode. Comme les hommes se seraient retrouvés dans des situations ambiguës lors des rapports de vente, la demoiselle de magasin fut littéralement inventée ! Ce fut donc une promotion sociale pour de nombreuses jeunes femmes dans un métier reconnu et par ailleurs épuisant : toujours sourire, servir, ne jamais s’asseoir, pendant dix heures par jour….
L’histoire des deux pièces extraordinairement populaires de Fonson et Wicheler fait évidemment un état des lieux de « l’exotisme » du belge pour les Parisiens (la province… wallonne) mais ces comédies rendent compte également des rapports de pouvoirs hommes-femmes dans les domaines sexuels, amoureux, financiers… Bref tout ce qu’on peut retrouver ailleurs dans l’œuvre de Zola Au bonheur des dames avec, en plus, les quiproquos, les situations rocambolesques de la comédie de boulevard.
La demoiselle de magasin nous raconte une histoire finalement assez simple et qui n’en demeure pas moins un objet très éclairant sur des mœurs de l’époque et la représentation des classes sociales dans le monde du travail.
Mademoiselle Claire est jolie, intelligente, calculatrice, méfiante, joyeuse, et on lui fait la cour. Sans cesse et de partout. Elle se méfie, louvoie,…jusqu’au climax final en style de comédie policière.
Mais ce qui fait le succès de cette pièce, c’est probablement, l’ « enchantement », la « féerie moderne » qui fait se succéder les coups de baguettes magiques dramaturgiques, les émerveillements apparemment bon-enfant mais qui rendent compte évidemment aussi d’une certaine duperie si ce n’est d’une perversité sociale.
Le texte a été revu, préfacé et commenté admirablement par Georges Lebouc qui nous fait revivre les épisodes de cette histoire théâtrale hors du commun. Cette comédie n’est en rien réaliste mais ce n’est pas pour ça qu’elle évite la dimension concrète des hommes et des femmes de cette époque où le rire est souvent la façon par laquelle le diable met son grain de sel dans les relations humaines.
Daniel Simon