Jean-Michel BRAGARD, Lolitalice, Préface de Jean-Marie Klinkenberg, Bozon2x, 2022, 159 p., 21 €, ISBN : 978-2-93067-11-4
Lolitalice, voilà Lolitalice, apparue pour la première fois dans le roman de Jean-Michel Bragard, un roman-songe, dit-il, une fugue, sous-titre-t-il, et nous découvrons avec ravissement les plus singulières sœurs siamoises de la littérature. Lolita, provocante et fausse candide de Nabokov et Alice transgressive et aventureuse, de Carroll, toutes deux représentant une figure du féminin que l’auteur fête avec malice dans ce beau livre récemment paru aux aventureuses et exploratrices Éditions du Bozon2X.
Jean-Michel Bragard se définit comme géologue de salon (il est géologue-animateur à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique), poète de terrain, flûtiste à 16h, pataphysicien et ami d’André Blavier. Il a déjà publié des textes, poèmes,… entre autres aux Éditions du Daily-Bul, dont un magnifique ouvrage en duo avec l’artiste Camille de Taeye.
Chez Jean-Michel Bragard , la filiation avec André Blavier (1922-2001, bibliothécaire verviétois de son état, critique d’art et littéraire, poète, grand ami et spécialiste de Raymond Queneau) est source d’une inventivité littéraire et langagière qui l’autorise à rejoindre les Fous littéraires que le Maître Blavier a, entre autres, publiés et où il scrute, répertorie, analyse la foultitude de celles et ceux qui ont contribué, de façon singulière, en corruption joyeuse, à l’agitation inventive et explosive de la langue.
Ce n’est pas une mince affaire que de lire Jean-Michel Bragard… Surgissent dans son écriture des objets poétiques plantés au milieu de la prose comme des indicateurs et des haltes dans le périple des personnages et de la petite Lolitalice.
Benjamin, parti de la Cité ardente, a rencontré cette fillette amnésique et l’a baptisée de ce joli nom qui surgit dans une parfaite logique créatrice au commencement du périple qu’ils feront ensemble. Il nous permet aussi de découvrir les multiples facettes de cette chère agitatrice… Benjamin lui fait traverser l’Italie, les Abruzzes, Caprona, Carara, Milan, puis la France, la Provence, Nice, Draguignan… Mais Lolitalice cherche, obsédée et sans peur, son “Chateau Panchrone”, une sorte de Graal qu’elle s’est inventé comme boussole de voyage.
Ce récit fantasque se déploie avec réjouissances pour celle ou celui qui admet dans la lecture le par-dessus tête, la fatrasie et les tintinnabulements de la narration. C’est aussi un livre de formation puisque l’héroïne reviendra à son point de départ chargée des conséquences et des illuminations de son périple. La cocasserie des situations ne masque en rien la profondeur des épreuves issues de l’inventivité de l’auteur. La langue est souvent, non le sujet principal, mais le fantôme permanent qui se promène dans le récit en tirant à lui toutes les subtilités des distorsions littéraires.
Moi, croyant à un nouveau trucage (Loly ventriloque) ou à un quelconque ensorcellement de ma diabline favorite, je reste sceptique…(…)
Un soir, alors qu’il y a très peu de monde, je remarque une fillette adorable, espiègle, d’un blond éblouissant. Elle éclate de rire à chaque apparition d’Ubu qu’elle appelle Papo, Papa, Papino. Elle doit être particulièrement futée pour piger cette intrigue à son âge.
Aucun mensonge dans ce roman-songe mais plutôt une mise en lumière des mensonges des adultes sérieux. L’auteur en fait une matière poétique et transgressive, en ce sens où les perspectives morales, esthétiques, naturelles, politiques… sont chamboulées et marchent sur la tête avec un humour mâtiné d’une ironie roborative.
Pour terminer, il s’agit de saluer ici la subtile préface de Jean-Marie Klinkenberg, portée par une clairvoyance documentée, qui nous invite à réfléchir avec Lolitalice, au road movie littéraire que Bragard nous offre, dans une vigoureuse et joyeuse maîtrise des saltos arrière de la langue et du récit.
Daniel Simon