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Il lui restait deux jours encore à passer dans Marrakech, son avion partait le surlendemain, et déjà la voix de cette femme l’avait renvoyé à ce prodige de bouleversement que les hommes appellent coup de foudre et les chinois, plus élégamment, « tomber en amour »…Ils se revirent, marchèrent longuement et il lui annonça son départ. Elle lui dit en lui touchant le front du bout des doigts, « Nous nous reverrons…Inch Allah ! »

 

*

 

Et pendant ce temps, dans la chambre, je tournais en rond, j’avais peur, peur d’aimer évidemment mais peur d’aimer trop, toujours trop, excessivement jusqu’à ce que cela se retourne, comme le veut la loi de l’amour; le trop détruit, annule, écrase et renvoie au vide. J’ai failli ne jamais partir, accroché à ma vie insatisfaite mais suffisamment rassurante que pour pouvoir la supporter, puis soudain cette femme, sa folie douloureuse, ses fusées de vérité, son égoïsme terrible, ses joies d’enfant réconcilié, cette femme aux longs cheveux, cette femme m’avait à nouveau fait rêver et j’avais parcouru mon rêve à pied, chaque jour et chaque nuit et le monde ne m'était pas paru plus grand mais plus petit, tellement plus petit que j’avais fini par y éprouver le sentiment de ne plus avancer, de ne plus bouger, d’être figé dans le paysage.

 

Cette femme était en train de me faire disparaître et pour me sauver, il me fallait quitter le bateau, ramer seul, jusqu’à épuisement, couler peut-être mais ne plus éprouver ce sentiment amer d’impuissance, de dissolution. Il me fallait quitter ce rêve comme on déserte, comme on oublie d’appareiller un matin et qu’on reste sur le quai les yeux dans le sillage du paquebot déjà loin. J’avais donc décidé de retourner sur mes pas, de vérifier ce qu’il en était de mes beaux souvenirs, des mensonges répétés qui s’étaient lentement transformés en système et auquel j’avais été le premier à croire.

 

J’étais à Marrakech, j’aurais pu être à Varsovie ou à Moscou où j’avais traîné mes vingt ans mais ces temps étaient encore purs et je ne faisais pas la différence entre la vérité et le travestissement de la vérité.

 

Le monde alors était simple : son horreur était connue et des lendemains allaient encore chanter, suffisait de s’y mettre…Par contre, Marrakech m’avait accueilli alors que ma cinquantaine débutait, la vie tentait encore de me forger, je résistais comme je pouvais, j’évitais les coups, j’en donnais quelques uns, j’étais encore jeune.

 

*

 

Il était tombé amoureux, salement, profondément, et depuis le premier choc il avait ressenti que la profondeur du puits où il allait puiser l’amour qui l’enchantait était à l’égal de la soif qui lui serrait la gorge chaque fois qu’il pensait à elle. Et il y pensait à chaque instant.

 

Ce n’était plus des visions, des échos, des phrases, des fragments de visage qui lui serraient le coeur, ni les frissons qui le traversaient jusqu’à des accès de nausée, ce n’était pas son parfum, ni le goût de sa salive ou de son sexe qu’il portait en lui, c’était plus aigu, il avait besoin d’elle jusqu’à lécher ses plaies ou mâcher ses traîtrises et ses abandons jusqu’au cœur.

 

Il se haïssait de l’aimer aussi fanatiquement, il savait ce qu’elle était, généreuse, calculatrice, spontanée et en retenue soudaine, elle était chaque jour plus terrible, chaque jour plus belle, chaque jour plus rayonnante, elle était tout à la fois une féminité sans ambages, une féminité aux éclats infinis, une féminité arrogante et farouche, une femme aux désirs violents, une consolatrice à la peau parfumée.  Il se haïssait d’aimer son sexe à ce point, il admirait sa force, sa souplesse, voyait son intelligence en action mais ce sexe qu’elle portait comme un  camée précieux le fascinait tout autant qu’elle s’en délectait. Elle était amoureuse de ce qu’elle était avant toute chose, il l’avait compris et cette catastrophe l’excitait…

 

Je délire, se disait Mathieu, je raconte n'importe quoi, rien ne s'est passé concrètement entre Souad et moi et déjà je rumine comme un vieux cheval revenu des labours de l'amour et hennissant encore rien que pour le plaisir du souvenir encore vif du chemin parcouru.

 

*

 

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