Paul WILLEMS, La ville à voile / La vita breve, Postface Caroline De Mulder, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2022, 280 p., 9 €, ISBN : 978-2-87568-571-1
« Le théâtre est le conservatoire de la langue », écrivait Antoine Vitez et, en ce qui concerne la langue de Paul Willems, on pourrait, sans hésiter, évoquer les grands fonds, les abysses qui font échos aux affrontements, aux troubles et aux violences de la surface.
Cette langue est inouïe et il faut prêter l’oreille pour être sûr que c’est bien de cela, de ce drame tragi-comique qui est notre matière, qu’il s’agit car, chez Paul Willems, « la vie est un songe » (Pedro Calderon de la Barca) traversé des violences de la résurgence des souvenirs et des sursauts de vérité.
Paul Willems est un des écrivains les plus étranges et les plus somptueux de la littérature belge. La réédition dans la collection « Espace Nord », de La ville à voile suivi de La vita breve est une œuvre salutaire qui permettra de faire circuler à nouveau dans la nouvelle génération ces deux pièces. La postface de Caroline De Mulder livre des informations précieuses, d’une intelligence de haut vol, précise, pédagogique et exploratoire. Dans le même temps, cette réédition permet de refaire la lumière un court instant sur cette œuvre théâtrale qui a surgi à la demande, au hasard d’une rencontre avec le directeur du Rideau de Bruxelles, Claude Étienne, en 1942 dans les couloirs du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.
Paul Willems était l’auteur de romans qui avaient sonné fort dans la francophonie du temps grâce, peut-être, à cette langue de l’enracinement dans les marais et les eaux profondes de l’Escaut où, dans le domaine de Missembourg, avec sa mère, l’écrivaine Marie Gevers, il avait vécu son enfance, comme il l’écrivit, dans le même rythme qu’il y a trois cents ans, retiré de tout et protégé de tous dans l’écrin qui deviendra leur fameux théâtre de verdure…
Que ce soit dans La ville à voile ou dans La vita breve, il s’agit de voyages, de songes encore une fois, et de jeux de simulacres, jusqu’à la violence de la confrontation au réel de la possession et des actes qu’elle suppose. Tout désir s’évanouit alors, frappé de plein fouet par les forces délétères de la corruption et de l’intrication des trivialités du monde.
Ces deux drames flottent comme des vaisseaux fantômes dans les eaux d’un chaos apparent mais qui se révèle, de scène en scène, un univers des entrecroisements entre tragédie et jeux de miroirs, séduction et parade délétère.
Tout se joue, chez Paul Willems, dans les couches les plus profondes de l’imaginaire, dans ces zones obscures et rayonnantes à la fois des infra-langues du désir et du jouir, comme une anamorphose de l’ouïr…
Ces deux pièces furent jouées sur nos scènes (Nouveau Théâtre de Belgique, Théâtre National) et dans de nombreux théâtres à l’étranger.
La langue de notre temps se prive trop souvent des ces surgissements de l’in-entendu et le théâtre a trop à s’occuper d’un monde qui se voit dans le miroir de la fin, probablement, pour faire entendre ces sourdes et musicales secousses des mondes enfouis. Dans tous les cas, relire ce théâtre est un… enchantement, une expérience de retour à un temps de la durée et des mythes que Willems fit si bien entendre depuis son imprégnation dans les remugles végétaux de l’Escaut anversois.
Daniel Simon
- Paul Willems : l’archive comme épave (Le Carnet et les Instants n°199, 2018)
- La fiche de Paul Willems